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https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/12/24/une-enfance-allemande-ile-d-amrum-1945-grandir-dans-les-ruines-du-nazisme_6659299_3246.html
Un film de Hark Bohm par Fatih Akin. » Le carton qui ouvre Une enfance allemande. Ile d’Amrum, 1945 explicite d’emblée sa drôle de genèse. Fatih Akin avait encouragé Hark Bohm, acteur fétiche de Fassbinder et réalisateur, à tourner un film autour de ses souvenirs de jeunesse auprès de parents nazis convaincus pendant la seconde guerre mondiale sur l’île d’Amrum, en mer du Nord. Celui-ci écrivit le scénario, mais, se sentant trop faible pour le mettre en scène – Hark Bohm est mort le 14 novembre 2025 –, il confia la réalisation du projet à son ami.
Moins fiévreux que les longs-métrages qui ont fait connaître Fatih Akin (Head-On, 2004 ; In The Fade, 2018), Une enfance allemande. Ile d’Amrum, 1945 colle au programme de son titre avec une simplicité qui habite tout le film. Situé au printemps 1945, quelque part autour du suicide d’Hitler et de la capitulation allemande, le récit suit à la trace Nanning (Jasper Billerbeck), 12 ans, qui ouvre peu à peu un œil nouveau sur le monde qui l’entoure. Ce fils d’un dignitaire nazi fait prisonnier, membre des Jeunesses hitlériennes, vit sous l’autorité d’une mère qui, sur le point d’accoucher de son troisième enfant, s’accroche désespérément à sa fidélité au IIIe Reich et d’une tante plus pragmatique et critique.
Lire aussi la critique (2018)
« In The Fade » : la vengeance dans le vide
En alternant les plans-séquences et les scènes découpées faisant la part belle aux plans subjectifs, Fatih Akin nous immerge à hauteur d’enfant dans ce territoire encore sauvage qui semble fonctionner avec sa propre logique, à la fois relié et coupé du reste du monde. Le cinéaste utilise très peu de musique, laissant le vent, le bruit de la mer, le cri des oiseaux habiter l’écran. Si le début du film se passe beaucoup au crépuscule, plus l’histoire avance plus on bascule en pleine lumière, mimant symboliquement la trajectoire du personnage.
Œuvre éminemment terrienne
Dans une séquence de rêve, Nanning se retrouve même, baignant dans une blancheur irréelle, à échanger avec son oncle Théo qui a fui pour les Etats-Unis. « Je ne suis pas responsable de ce que mes parents ont fait », se défend le jeune garçon. « Tu n’y peux rien mais tu dois faire avec », s’entend-il répondre.
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Tout le film se confronte à ce passé sombre dans une tension permanente entre premier plan et arrière-plan, avec pour toile de fond la figure du capitaine Achab dans le Moby Dick de Herman Melville, que Nanning prête à un de ses camarades. La terreur imposée aveuglement par le régime nazi, sa politique de dénonciation, d’oppression et de destruction, est révélée par touches progressives alors que le garçon suit obstinément une mission qu’il s’est fixée : apporter à sa mère, malgré la pénurie de denrées alimentaires qui frappe l’île, une tartine de pain blanc avec du beurre et du miel.
Œuvre éminemment terrienne, faisant une large place à la nature, Une enfance allemande. Ile d’Amrum, 1945 est aussi un film de fantômes hanté par la disparition, depuis ceux qui, très nombreux, se sont exilés pour des motifs économiques et marquent la mémoire des lieux, jusqu’à Ruth Danzinger, cette jeune femme juive dont était amoureux Théo, déportée puis tuée dans un camp de concentration, dont il ne reste plus qu’une photo.
Le film frappe surtout par la manière dont il convoque la question de la violence. Celle-ci naît à la fois d’une forme de nécessité – la faim, notamment, ouvre à toute une série de comportements, de l’asservissement du vivant jusqu’au vol – et d’une volonté d’afficher une supériorité sur ses semblables, de classer les autres comme différents. A travers ces migrants venus de Silésie et de Prusse orientale, méprisés par la population locale malgré l’apport en main-d’œuvre qu’ils représentent, Fatih Akin donne une résonance contemporaine à son message : attention, la haine de l’autre est là, tapie dans la banalité de chacune de nos familles, dans la quête d’une pureté illusoire au regard des mouvements de l’histoire. Encore faut-il ouvrir les yeux, et apprendre à tendre la main.