Quel film !! Dogville (Godville?) est une réflexion dérangeante sur le sort des utopies sociales en Amérique. 💗💗💗💗💗
Au même titre que "Dancer in The Dark" ou "Melancholia" j'ai vraiment adoré ce film et m'a rappelé combien j'aimais la vision cinématographique de Lars Von Trier même si elle ne fait pas l'unanimité. Pour moi c'est un très grand film qui restera une référence. Je conçois par contre qu'on puisse ne pas aimer ce cinéma cru où l'on ressent une violence latente ou concrète.
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Synopsis:
Dans les années trente, des coups de feu retentissent au loin et une belle jeune femme en fuite arrive dans la petite ville de Dogville, une bourgade perdue dans les Rocheuses, poursuivie par des gangsters dans une voiture noire. Peu loquace sur son passé et les raisons de sa fuite, elle charme un villageois, Tom, écrivain velléitaire qui est une sorte de porte-parole autoproclamé de la petite ville. Celui-ci vainc les réticences des habitants qui acceptent de la cacher en échange de travaux qu'elle réalisera en leur faveur.
Toutefois, la bonne entente qui prévaut au début laisse entendre quelques notes dissonantes et l'image idyllique d'un village paisible et harmonieux se lézarde peu à peu. L'annonce d'un avis de recherche lancé contre elle et la peur qu'il suscite sert aux habitants de prétexte pour utiliser toujours plus les services de Grace avant de s'en prendre à sa personne même. Peu à peu Grace subit les pires avanies : elle est violée une première fois par Chuck ; elle doit subir un nouveau viol perpétré par Ben, suite à sa tentative d'évasion avortée ; elle est même attachée à une roue de fer et devient la proie sexuelle des hommes du village. Elle finit par être dénoncée aux gangsters par Tom lui-même.
Mais Grace possède des pouvoirs insoupçonnés et les villageois l'apprennent à leurs dépens : le chef des gangsters est, en effet, le père de Grace. Leurs retrouvailles en forme de dispute - le père était à la recherche de sa fille fugueuse - s'achèvent sur un accord : sur les conseils de son père, Grace décide de se venger des habitants qui l'ont humiliée malgré sa bonne volonté et son sens du sacrifice. Elle tue Tom ; les habitants sont massacrés et le village est la proie d'un feu purificateur lorsque les voitures des gangsters l'abandonnent.
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Lars Von Trier nous propose une réelle démonstration de la violence et de la manière dont elle s’insinue dans les rapports humains, le tout accompagné de deux changements d’éclairage au cours du film, signalés par la voix-off, qui illustrent le regard de plus en plus dépréciatif (et réaliste) de Grace sur les habitants de la ville au fur et à mesure qu’elle se fait exploiter.
On peut ainsi rapprocher cette pièce de la tragédie, car en plus de la mise en scène, c’est également tout le projet théâtral qui s’y compare : nous savons que cela va mal se terminer, et chaque chapitre/acte est comme un pas de plus vers la fin tragique, où quand tout semblait parfait au début, les personnes révèlent leur vraie nature et mettent en place les conditions de leur propre fin.
La forme théâtrale, bien sûr, avec comme décor unique plongé dans une semi obscurité une sorte de plateau marqué au sol de traits qui délimitent d'une façon à la fois symbolique et réaliste les rues, les cloisons de maisons ou les limites de jardins ; bref, un plateau qui donne à voir l'intérieur et l'extérieur, la vie privée comme la vie publique, d'une petite ville d'autant plus présentée comme un artifice que les comédiens miment le décor et font les gestes convenus de la vie au quotidien que des sons spécifiques ponctuent (bruits de porte, aboiement de chien, etc.) et des effets de lumière éclairent. Cet effet de distanciation ainsi obtenue évoque à l'évidence le théâtre de Brecht.
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Par ailleurs, la structure du film est faite d'un Prologue qui nous introduit la ville et ses habitants suivi de neuf chapitres titrés :
- Chapitre I : Où Tom entend des coups de feu.
- Chapitre II : Où Grace adhère au projet de Tom et se met au travail.
- Chapitre III : Où Grace se livre à une provocation douteuse.
- Chapitre IV : Moments heureux à Dogville.
- Chapitre V : Enfin le 4 juillet.
- Chapitre VI : Où Dogville montre les dents.
- Chapitre VII : Où Grace finit par en avoir assez, quitte Dogville et revoit la lumière du jour.
- Chapitre VIII : Où la vérité éclate à la réunion et où Tom part (pour revenir).
- Chapitre IX : Où Dogville reçoit la visite tant attendue et où le film s’achève.
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Lars von Trier nous offre ici, une méditation sur la nature humaine dans ses rapports avec le Bien et le Mal à travers un regard porté ironiquement sur les valeurs chrétiennes du martyre sacrificiel et de la rédemption.
D'abord médusé par ce cadre inhabituel, intrigué par ce décor déroutant et maintenu à distance par la succession des titres des chapitres et la récurrence de la voix du narrateur, on est pourtant progressivement pris par la déchéance de Grace et ému par son asservissement aux pires désirs des habitants de Dogville, sans que les près de trois heures du film pèsent sur le pouvoir de fascination des images, des dialogues et des situations que vivent les personnages. L'atmosphère pesante et sombre s'alourdit et l'obscurité noie une scène devenue entre-temps à nos yeux une petite ville des Rocheuses qui vit dans la peur et vers laquelle monte une mystérieuse menace.
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Lars von Trier convoque l’Amérique, sa littérature et son cinéma : ces habitants pauvres de la crise de 1929 - longuement montrés lors du générique final, sur lequel à travers des photos d’archive ou plus récentes - ne peuvent que renvoyer au monde misérable et libidineux d’Erskine Caldwell dans "Les petits Arpents du Bon Dieu" ; cette voiture noire et silencieuse, aux occupants inquiétants suggère assez cette pègre et ce Parrain de Francis Ford Coppola qui peuplent le cinéma américain contemporain. Mais ces derniers sont, à leur façon, les anges exterminateurs d’une vengeance attendue, et la fin du film nous plonge dans une grande perplexité.
Cette victime qui se mue en bourreau est étonnante: n’y a-t-il pas quelque ironie grinçante dans cette chute ? Comment ne pas reconsidérer dès lors le sens de l’ensemble du film ? Car enfin l’arrivée de Grace dans la petite ville de Dogville ne se fait pas sans quelque mystère : on apprend, certes, qu’elle est en fuite mais on ignore pour quelles raisons et l’on ne sait pas davantage qui la traque. De même, les réticences des villageois à l’accepter, les mises en garde et les atermoiements de Tom laissent songeurs et préfigurent assez bien la suite des événements. Ce village haut perché dans les Rocheuses, loin de tout, au fond d’une voie sans issue, n’est d’ailleurs pas sans évoquer "Le Château" de Kafka et son héros qui n’arrive pas à l’atteindre malgré tous les efforts louables qu’il déploie pour arriver à ses fins. De même, Grace peine à être intégrée par les habitants : son acceptation, selon le mot de Tom, ne se fait que très difficilement.
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FICHE TECHNIQUE :
Année : 2003
Titre original : Dogville
Réalisation/Scénario : Lars Von Trier
Directeur de la photographie : Anthony Dod Mantle
Musique : Vivaldi, Albinoni, David Bowie
Production : Zentropa Entertainments
Distribution : Les Films du Losange
Durée : 170 minutes
Distribution :
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- Grace : Nicole Kidman
- Gloria : Harriet Andersson
- Ma Ginger : Lauren Bacall
- Tom Edison : Paul Bettany
- Mrs Henson : Blair Brown
- Chuck : Stellan Skarsgard
- Martha Siobhan : Fallon Hogan
- Liz Henson : Chloë Sevigny
- Vera : Patricia Clarkson
- Bill Henson : Jeremy Davies
- Jack McKay : Ben Gazzara
- Thomas Edison : Sr Philip Baker Hall
- Ben : Zeljko Ivanek
- Olivia : Cleo King
- Jason : Miles Purinton
- Mr Henson : Bill Raymond
- June : Shauna Shim
- Le Grand homme : James Caan
- L’homme au grand chapeau : Jean-Marc Barr
- L’homme au manteau : Udo Kier
- Le narrateur : John Hurt