
2024
•
Documentaire / Animation
•
1h35
Résumé
Sous les traits d’avatars, une équipe de tournage pénètre dans des jeux-vidéos en ligne et entre en contact avec des « joueurs ». Qui sont ces habitants, sont-ils réellement en train de jouer ? À travers les rencontres avec ces personnages, leurs histoires, leurs imaginaires et leurs rapports sociaux, ce flm nous fait poser un autre regard sur le virtuel et nous questionne sur le devenir de notre monde.
Passionnant sur la virtualité
L’idée d’un film qui se fait entièrement dans un jeu vidéo est chouette
Knit’s Island, l’île sans fin”, plongée vertigineuse dans un jeu vidéo de survie Les trois réalisateurs de ce documentaires embarquent dans un jeu pour adultes à l’ambiance sordide, sur le territoire d’une république soviétique postapocalyptique. Objectif : tenir bon. Face à la vraie vie ? Dans ce documentaire, tout est faux mais tout est vrai. Knit’s Island, L’île sans fin présente un vaste territoire désolé, celui d’une république soviétique imaginaire après une apocalypse factice : les images d’un jeu vidéo de survie, DayZ, où les joueurs sont livrés à eux-mêmes. Il fallait aux trois auteurs, Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L’Helgoualc’h, inventer une méthode documentaire qui permettre de dompter cet univers numérique. Embarqués dans le jeu, ils s’assignent des rôles — trop pacifiques — que cet univers ne propose pas vraiment et dialoguent alors avec des personnages de synthèse animés par les véritables voix des joueurs via leurs micros. L’ambiance, faite de jeux de rôles très poussés, reste sordide. La cheffe sanguinaire des Ombres de la nuit, faction de cannibales, expose sa cruauté. Un malaise flotte : sa voix est fluette, déformée, décalée. Vertige, à nouveau, lorsque les réalisateurs sont pris pour cible par un sniper. Eux aussi peuvent mourir dans le jeu. Mais peu à peu, le documentaire met en lumière des bribes de notre monde. Ici, un bruit en arrière-plan, là, la voix étouffée d’un enfant. Une joueuse se lève, s’active dans une autre pièce. Dans les ruines virtuelles d’une église orthodoxe, les documentaristes écoutent les amis du Révérend (un autre groupe social du jeu, plutôt une sorte de culte cette fois) se confier sur leur vie. La finesse de Knit’s Island nous enseigne que l’univers désolé de DayZ n’est rien de plus qu’une aire de jeux pour adultes harassés par la banalité de l’existence. Après sa journée de travail, le joueur ChillPilgrim avoue se perdre dans les forêts numériques comme d’autres sortiraient prendre l’air ; il y a aussi ce couple qui joue ensemble mais voudrait tenir son enfant à l’écart de ce « mauvais exemple ». Tout est faux, mais eux sont vrais. Quelque part sur internet existe un espace de 250 km² dans lequel des individus se regroupent en communauté pour simuler une fiction survivaliste. Sous les traits d’avatars non, une équipe de tournage pénètre ce lieu et entre en contact avec des joueurs. Qui sont ces habitants ? Sont-ils réellement en train de jouer ? C’EST COMME CA QUE J’IMAGINE UN MONDE PARFAIT Le dispositif de Knit’s Island, réalisé par les Français Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L’helgoualc’h (lire notre entretien), est hors normes. Knit’s Island a été conçu à partir de captures d’images du jeu vidéo DayZ. Ce jeu, créé il y a une dizaine d’années, est un simulateur de survie. Les joueuses et joueurs, de par le monde, se retrouvent en ligne et déambulent dans un univers post-apocalyptique. Les cinéastes n’y ont pas filmé et monté une fiction : à travers leurs avatars, ils vont à la rencontre des participant.e.s pour les interroger. Ce documentaire animé qui mêle, comme on l’a rarement vu, cinéma et jeu vidéo nous plonge en immersion dans un univers vertigineux. Nous sommes dans le jeu, face aux situations que rencontrent les cinéastes. Celles-ci peuvent être ubuesques ou inquiétantes, comme lorsqu’ils rencontrent un groupe de personnes surarmées et cannibales, utilisant un jouet humain sur lequel se défouler. Quelle est la part de réel dans ces pulsions d’ultra-violence, quelle est la part de bluff ? La dimension réaliste des décors tranche avec les mouvements encore un peu raides et grotesques des avatars, dont les voix humaines, nettes et naturelles, peuvent parler sans complexe du plaisir de tuer. Mais le film n’est en aucun cas un simple procès réactionnaire de gamers décérébrés et accros à la violence gratuite. Les questionnements abordés par Barbier, Causse et L’helgoualc’h parviennent à être bien plus profonds. La violence a une place certes mais ce lieu virtuel est aussi un défouloir, une échappatoire et un lieu de liberté. Tout en racontant une immersion intense (les cinéastes ont joué un millier d’heures pour constituer leur film, leurs interlocutrices et interlocuteurs jouent parfois depuis une dizaine d’années), le long métrage aborde avec intelligence la frontière entre le réel et le virtuel. Oui, c’est un lieu de fiction pour la plupart des personnes interrogées, même si certaines sont conscientes du risque de s’y perdre. Il y a un recul, une lucidité sur cet effet de VR. Mais ce qu’on y ressent est bel et bien réel. Les souvenirs laissés par ces heures de déambulations et d’interactions sont-ils virtuels ? « On a l’impression qu’on a de vrais souvenirs, comme si c’était vraiment arrivé », confie un joueur. Mais c’est arrivé, et c’est ce que les cinéastes parviennent à raconter. Ils rendent compte ici d’un extraordinaire champ fictionnel et de son pouvoir sur le réel ; c’est un road movie tentaculaire où l’on peut croiser des psychopathes et des contemplatifs, où l’on recherche l’adrénaline ou la relaxation. Est-ce une fantaisie ? Est-ce une utopie ? La vraie vie parfois s’invite, une mère parle mais doit aller chercher son enfant. Les pleurs du bambin s’invitent dans le jeu, la mère s’absente, mais son avatar reste à l’image, immobile, les yeux ouverts. Elle est absente mais elle est encore là. L’expérience des cinéastes, un prolongement de ce qu’ils avaient déjà entamé dans leur moyen métrage Marlow Drive, conçu à partir d’images du jeu vidéo GTA V, est aussi fascinante que généreuse. On nous invite dans un monde qui, à l’heure du confinement, paraît parfois « plus vrai » que le nôtre, confie un participant. Il serait très facile de caricaturer des joueuses et joueurs passant des heures enfermé.e.s à la maison dans un monde virtuel, mais les cinéastes, au contraire, embrassent toute la richesse de leur sujet. Celui-ci devient une expérience sociologique posant des questions existentielles. Et à la rencontre de ces personnes de tous horizons, qui se connaissent et ne se connaissent pas, le film dépeint de manière étonnamment émouvante une vraie communauté. Knit’s Island se déroule intégralement dans le jeu vidéo en ligne DayZ, un « simulateur de survie » prenant place dans un monde postapocalyptique peuplé de zombies. Trois documentaristes arpentent ses territoires désolés, longent ses routes désertes et se faufilent entre les hautes herbes pour contempler ses étendues sauvages. Comme DayZ se joue en vue subjective, les « yeux numériques » des avatars font office de caméra virtuelle – par exemple, pour « filmer » les branches des arbres qui ondulent sous le vent, il leur suffit de lever la tête. Le film se consacre toutefois moins à la découverte de ce monde ouvert qu’il n’ambitionne de s’immerger au sein de la myriade de petits groupes composés par les joueurs. Se présentant comme une équipe de cinéastes, les lettres PRESS écrites en gros sur leurs tenues, le trio de réalisateurs part à leur rencontre et échangent autour de leurs pratiques. La démarche n’est pas évidente dans un univers où il faut composer avec des infectés voraces et des habitants prêts à ouvrir le feu sur quiconque les approche. Si une rencontre heureuse leur permet d’apprendre à se repérer grâce aux constellations, le risque de se faire abattre sans sommation les pousse généralement à procéder avec prudence. Car dans DayZ, la mort est une menace à prendre au sérieux : il faut que l’équipe pense également à se nourrir, s’hydrater, se soigner… L’ambiance mortifère qui règne sur l’île transparaît d’ailleurs dans une scène étonnante observée par les documentaristes : poussant le roleplay assez loin, des joueurs organisent une cérémonie en souvenir d’un ancien chef de clan disparu. Cet événement révèle en particulier la manière dont certaines communautés se soudent autour d’une fiction commune, en plus de partager une même philosophie dans leur approche du jeu. Qu’ils incarnent des pilleurs violents ou des pacifistes jurant de ne jamais ôter la vie (aussi numérique soit-elle), les survivants partagent via leurs avatars des souvenirs dont ils avouent parfois qu’ils paraissent plus vivants que ceux de leur existence « IRL » (in real life). Pour autant, la finalité des cinéastes n’est pas de brosser un tableau exhaustif des différentes façons de jouer. Alors qu’ils prennent le temps d’écouter le « Révérend Stone » décrire la religion qu’il a inventée sur l’une des îles du territoire fictif du jeu (et qui donne son titre au film), il apparaît que les formes prises par ces communautés virtuelles sont plus spécifiquement leur objet d’étude. LE MONDE PERDU La beauté de Knit’s Island réside précisément dans sa capacité à restituer l’expérience hybride que constitue l’immersion dans un jeu vidéo, et notamment les jeux en ligne. On y pratique en premier lieu ce que Roger Caillois[1] appelle le mimicry, soit le fait de « devenir soi-même un personnage illusoire et se conduire en conséquence »[2]. Dans un jeu comme DayZ, le roleplay ne se limite pas seulement à interpréter un personnage avec sa voix, mais implique aussi de mouvoir le corps numérique comme on dirigerait une marionnette. Cet aspect du jeu transparaît notamment dans une scène de rave party où les joueurs exploitent les animations rigides de leurs avatars pour danser de manière erratique. Cette dimension mimétique du jeu implique l’idée d’offrir un spectacle : on incarne son personnage peut-être avant tout pour l’offrir au regard des autres – ce que le « Révérend Stone » synthétise lors d’une réflexion sur son accoutrement (« pour certains la protection est la priorité, pour d’autres c’est le style »). Cet horizon place DayZ (et les autres titres qui s’en rapprochent) en héritier lointain de Second Life, un monde virtuel en 3D dans lequel Chris Marker avait créé une île sur laquelle il se promenait via son avatar, nommé Sergeï Murasaki[3]. Marker avait déjà bien compris que la nature de ces mondes numériques se rapprochait plus d’un « entre-deux » que d’un ailleurs. On retrouve par endroits cette idée structurante dans Knit’s island, par exemple lorsque le joueur incarnant le « Révérend Stone » se met à fredonner un air que sa fille n’arrête pas de chanter dans le monde réel, ou quand l’aboiement d’un chien s’invite dans l’univers du jeu via un micro. Au détour d’une scène plus troublante encore, un personnage se fige soudainement car la joueuse le contrôlant doit aller s’occuper d’un enfant qui vient d’entrer dans la pièce où elle se trouve. En l’absence de sa marionnettiste, le corps numérique se transforme en statue, tandis que l’on entend, à travers les micros, mère et fille discuter. On se rend alors compte que les avatars, en plus de constituer des « véhicules » permettant aux joueurs de se déplacer dans ce monde numérique, ouvrent une fenêtre vers leur quotidien : pourvus des voix des joueurs qui les incarnent, ils laissent aussi occasionnellement filtrer des résidus de leurs environnements (bruits, conversations avec des proches, etc.). Cette question de l’hybridité du monde numérique prend encore une nouvelle dimension alors que la pandémie de Covid-19 fait progressivement irruption dans les échanges entre les joueurs, d’autant que le monde de DayZ est lui aussi la proie d’une mystérieuse épidémie. Tandis que le monde physique se « met en pause » au gré des confinements, une expédition s’organise au sein du jeu, avec pour objectif de s’aventurer au-delà de ses limites connues. Une fois la frontière dépassée, les éléments du décor (arbres, hautes herbes, roches) laissent place à une surface vierge et infinie. Cette terra incognita révèle alors toute son étrangeté, d’autant plus que les glitches se multiplient à mesure que les avatars s’avancent : une lune carrée se lève à l’horizon, un personnage devient invisible… Au gré de cette marche vers l’infini, les lieux deviennent le miroir de ce qui se passe en dehors du cocon ludique : un environnement inquiétant, dépouillé de ses apparences ordinaires, qui se révèle toutefois propice au regroupement et à la méditation. Pendant l’expédition, les joueurs partagent le trouble de se sentir « seuls au monde ». Que faire une fois que toutes les règles ont disparu ? Les réponses apportées à cette question divergent : le « Révérend Stone », ce « vieux » personnage, mettra juste après un terme à son histoire (sans que l’on sache exactement ce que sa décision implique : arrête-t-il de jouer à ce jeu-ci ? Ou reprend-il à zéro la partie sous les traits d’un autre avatar ?). Pour d’autres, au contraire, s’ouvrent de nouvelles perspectives en inventant d’autres formes d’exploration. Par exemple, pourquoi ne pas survoler l’île en nageant dans le ciel ?[4] Si ce territoire n’a pas de fin, comme le précise le titre, c’est essentiellement parce qu’on le (re)découvre selon la façon dont on le parcourt. Le temps passe, qu’on le veuille ou non : voilà certainement le simple constat auquel aboutissent les cinéastes au terme des quelques centaines d’heures passées dans DayZ. Et de confirmer que les espaces numériques sont décidément propices aux déambulations mélancoliques. Titre Knit's Island, l'île sans fin Genre Film documentaire Réalisateur Guilhem Causse Sortie 2024 Durée 1h35 Musique Ekiem Barbier Origine France Musique Ekiem Barbier, Guilhem Causse Réalisateurs Ekiem Barbier, Guilhem Causse SYNOPSIS Quelque part sur internet existe un espace de 250 km² dans lequel des individus se regroupent en communauté pour simuler une fiction survivaliste. Sous les traits d'avatars, une équipe de tournage pénètre ce lieu et entre en contact avec des joueurs. Qui sont ces habitants ? Sont-ils réellement en train de jouer ? CASTING Ekiem Barbier Guilhem Causse
Une première mondiale. Une idée de génie qui ne débouche pas sur grand chose a cause du peu d'intérêt des interviewés ou du manque d'expérience des interviewers