Drame • de Dani Rosenberg • 2024 • 1h38 • Ido Tako, Mika Reiss, Efrat Ben Tzur, Tikva Dayan.
Tout juste majeur et alors qu'il vient de débuter son service militaire au sein de l'armée israélienne, Shlomi est envoyé au front à Gaza avec son unité. Très vite, le jeune homme, fou amoureux, décide de fuir le champ de bataille pour aller rejoindre sa petite amie, Shiri, à Tel Aviv. Après quelques mois d'errance dans les rues d'une ville à la fois paranoïaque et insouciante, Shlomi découvre par hasard que ses supérieurs sont convaincus qu'il a été kidnappé par les forces ennemies. Malgré les supplications de ses parents, conscients des risques, il refuse de se rendre et se retrouve bientôt pris au piège de sa propre identité...
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Si ce film-là résonne fortement dans le contexte actuel, il séduit avant tout par sa manière, bravache et audacieuse, d’exprimer une révolte universelle. Jeune soldat israélien, enrôlé malgré lui dans un conflit qui le dépasse, Shlomi, 18 ans, fuit le service militaire obligatoire et le chaos de la bande de Gaza pour retrouver son amoureuse à Tel-Aviv. Déserteur sans l’avoir vraiment prévu, rebelle sans véritable cause, il cavale à pied, à vélo, en voiture, alors qu’un piège se referme sur lui : persuadé qu’il a été enlevé par un commando palestinien, Tsahal lance des représailles sur Gaza…
Tournée avant la reprise du conflit entre Israël et le Hamas, sur les lieux mêmes qui sont bombardés depuis le 7 octobre, cette fiction déroutante brille à la manière d’un miroir brisé : des éclats partout, qui coupent et étincellent, un mélange de noirceur et de vitalité. Nous voilà embarqués dans une équipée bizarrement tragi-comique, où le jeune soupirant s’émancipe et s’enferre à la fois, tente de retrouver l’insouciance de son âge dans un monde au sein duquel la menace et la paranoïa planent. Dans les bars de Tel-Aviv, la fête est interrompue par des alertes. Ailleurs, des villages paisibles sont frappés par des raids. Même la maison familiale désertée, dans laquelle Shlomi se rend au début de sa fuite, se transforme en terrain miné : il faut ramper pour échapper à la vigilance des soldats qui patrouillent à l’extérieur.
Réalisme documentaire et scènes burlesques
L’imposture involontaire de Shlomi le place dans une situation impossible, absurde, révélatrice des traumas d’une jeunesse qui tente de vivre, malgré tout, et cherche, au milieu du chaos, des bulles consolatrices. Pour le refuznik, ce sera dans les bras d’une amoureuse, d’une grand-mère, puis sous la tente au milieu d’une chambre d’enfant.
Le point de vue du réalisateur est autant viscéral que politique, entre réalisme documentaire et étonnantes scènes burlesques, quand le personnage se retrouve aux prises avec un couple de touristes hargneux, qu’il a eu la mauvaise idée de dévaliser… Pour son deuxième long métrage, Dani Rosenberg filme, en majesté, le corps élastique de son charismatique héros, mélange d’Alain Delon et de Buster Keaton. Véritable révélation, le jeune Ido Tako dévore la nourriture et la vie, détale dans les rues en slip, porte, de bout en bout, cette échappée éperdue, improbable, qui respire la fougue et la liberté.
TÉLÉRAMA • Par Hélène Marzolf • Publié le 23 avril 2024.