
2022
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Drame
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2h03
Les Belles Créatures” de Guðmundur Arnar Guðmundsson Découvrir ce deuxième long métrage de Guðmundur Arnar Guðmundsson, si proche de son Heartstone. Un été islandais (2016), a quelque chose de déroutant. Le décor n’est plus le même (une banlieue atone remplaçant le village de pêcheurs), mais on retrouve l’obsession du réalisateur pour la souffrance dans l’éducation sentimentale des adolescents en Islande. Ce film-ci commence par une spirale cruelle autour du harcèlement de Balli, son jeune protagoniste. De quoi presque rebuter, jusqu’à ce pacte quasi inexplicable où bourreaux et victime s’allient. Là commence le film d’apprentissage dans toute sa dureté, faite de joutes (verbales ou non), mais revêtue, comme Heartstone, d’une étrange féerie de la violence. On se laisse finalement happer par la force de ces séquences oniriques, autant que par l’énergie sombre de ces jeunes garçons qui grandissent avec leurs poings. En 2013, Xavier Dolan réalisait un clip estampillé « choc » pour Indochine. Leur titre « College Boy » accompagnait une succession d’images au style sulpicien (entre le noir et blanc et les nombreux ralentis) pour dénoncer le harcèlement scolaire, avec comme acmé une crucifixion dans une cour de récréation. S’il serait sans doute excessif d’en faire une matrice esthétique, on voit pourtant, depuis une dizaine d’années, un certain nombre de cinéastes habitués des grands festivals internationaux (Lukas Dhont, exemplairement) mâtiner cette même brutalité adolescente d’une joliesse standardisée. Présenté dans la section Panorama du festival de Berlin, Les Belles Créatures, deuxième long-métrage de l’islandais Guðmundur Arnar Guðmundsson, fait redouter dans ses premiers instants cet entrelacement systématique de violence apprêtée et de lyrisme clipesque. Par l’entremise de la voix-off d’Addi, un garçon de 14 ans, le film nous fait découvrir le quotidien de sa bande agitée. Le personnage prend sous son aile un nouveau venu, souffre-douleur renfermé sur lui-même, dont il se rapproche de plus en plus. Tous les deux se tiennent légèrement en retrait des autres au cours de leurs journées d’errances bagarreuses et illicites, où ils arpentent sans surveillance un environnement désolé. Avec son goût affecté du flou, ses images à la poésie générique (des rideaux transparents qui flottent dans le vent ; de puissants rayons de soleil traversant les feuilles des arbres), la mise en scène, au service d’un programme aussi doloriste que misérabiliste, paraît d’abord manquer de relief. Le film finit toutefois par convaincre davantage lorsqu’il s’attarde sur chaque membre de la bande, pour prendre le temps de mieux les caractériser. C’est notamment le cas des scènes focalisées sur Konni, le plus incontrôlable et agressif (on le surnomme « l’animal »), dont le goût pour la destruction gratuite apporte un peu de rugosité à l’approche trop ouvragée de l’ensemble. C’est lui qui porte la bascule romanesque et amère de l’intrigue, qui voit Addi prendre progressivement conscience de son décalage par rapport à cette virilité toxique. La belle idée du scénario est de mêler cette maturation à un argument discrètement fantastique : l’adolescent se découvre progressivement un don de voyance. Ses rêves prémonitoires colorent la mise en scène de visions plus singulières, en particulier celle d’un spectre brumeux surgissant à plusieurs reprises. Guðmundsson fait preuve d’une certaine inventivité dans cette veine onirique rehaussant des éléments prosaïques d’une portée fantastique : un oiseau géant se révèle être en vérité un nuage à la forme étrange ; des antagonistes sont animalisés par des sons ou des détails (un tatouage dans le dos) ; l’eau d’une vision vient petit à petit se refléter de manière surnaturelle sur les murs décrépis d’une maison vétuste. Ce versant du film creuse par ailleurs un horizon de conte assez explicite – en témoigne un personnage de beau-père sorti de prison, que la mise en scène dépeint comme une sorte d’ogre par une série d’effets (des sons bestiaux, la manière dont son corps écrase le cadre, etc.). Commence alors à poindre une dimension presque grotesque mais qui reste inexploitée, Guðmundsson lui préférant une atmosphère un peu trop schématiquement pesante. Face à la brutalité des personnages, on pourrait croire le titre ironique ; il ne l’est en réalité aucunement. Si le film, par sa peinture d’un groupe qui se délite et la mise en scène de violence sexuelles, fait parfois penser à Spetters, il lui manque la frontalité teintée d’ironie et d’ambivalence dont témoigne Verhoeven. Là où Spetters signifiait à la fois « éclaboussures » et « beaux gosses », les « belles créatures » finissent ici rattrapées par cette tentation enjoliveuse que l’on redoutait initialement. En ce sens, le titre original – Berdreymi (« cauchemar » en islandais) — ne lui convient pas beaucoup mieux. Le romanesque du film, qui contrebalance un peu sa complaisance, demeure timoré : en épousant le point de vue d’Addi, le récit se teinte certes de fantastique, mais aussi de la « normalité » du personnage (qu’il confesse de lui-même au détour d’une pensée retranscrite par la voix off). Le film en tire à la fois sa force et sa faiblesse : une belle sensibilité adolescente, mais qui reste un peu trop sage. Loin des paysages époustouflants qui habillent souvent les films islandais, Les Belles Créatures nous plonge dans la palette maussade d’un quartier de Reykjavik pour suivre les aventures de quatre adolescents qui font bande à part. Dans ce coming of age vif et cru, Guðmundur Arnar Guðmundsson explore avec finesse les méandres de la violence et de l’amitié. Un rêve raconté en voix-off, une main caressant les rayons du soleil, des scènes très brutales – mais également très topiques – de harcèlement scolaire. Pendant les dix premières minutes, Les Belles Créatures a du mal à trouver son équilibre, passantd’onirisme à réalisme sans trop convaincre. Tiraillé entre l’envie d’afficher sa singularité et le besoin de mettre efficacement en place ses thèmes, le début du long-métrage laisse présager un malheureux mélange de bons sentiments et de déjà-vu. Mais Guðmundur Arnar Guðmundsson nous fait rapidement regretter d’avoir eu de telles pensées. La rencontre de Balli, victime de toutes les brimades, avec Addi, Konni et Siggi, trio inégalitaire d’ados désœuvrés, illumine le film, qui révèle alors sa qualité d’écriture. Loin de faire de ces trois personnages des incarnations de bonté miraculeusement exempts de la violence qui s’exerce tout autour d’eux, le réalisateur choisit de leur donner le même fond que les autres : querelleurs, cruels, eux aussi auraient pu harceler Balli. Pourtant, ils ne le font pas. Presque malgré lui, Addi se prend de pitié pour ce garçon aux cheveux gras et à la maison défoncée, où le frigo est toujours vide. Commence alors sa lente intégration dans le groupe, de pièce-rebut à membre à part entière. LES BELLES CRÉATURES EST UNE EXPLORATION DENSE DU CYCLE DE LA VIOLENCE. La Saga des Fiers-à-bras Les Belles Créatures offre à voir une bande d’amis en quasi-autarcie ; les garçons sont libres d’à peu près tout, expérimentent de nouvelles drogues, louvoient entre la maison vide de Balli et la zone portuaire, et fréquentent, un peu plus timidement, des filles. Entre eux, l’amitié est féroce. Elle se construit par des semi-humiliations, des mises au défi, des épreuves de force – comme ce jeu qui consiste, simplement, à s’étrangler. Pourtant, c’est cette même amitié qui vient éclairer le film. Grâce à une constante redéfinition de ses personnages, Guðmundur Arnar Guðmundsson parvient à faire de la bande une entité vivante et réaliste, loin de la caricature. Les rôles initiaux – Addi l’attentiste réfléchi, Konni le chef mus... S’extraire de la violence et des effets de bandes Addi fait partie d’un groupe d’amis, avec Siggi, dont le leader Konni se retrouve menacé par le petit ami d’une fille de 17 ans qu’il a embrassée en douce. Ayant croisé un garçon harcelé à l’école qui se remet d’une violente agression, ils commencent à devenir amis avec celui-ci, l’invitant à certaines de leurs errances, mais profitant aussi de son salon quand ses parents ne sont pas là… Beautiful beings film movie © Sturla Brandth Grøvlen - Join Motion Pictures - Fourni par la Berlinale L’un des plus beaux films du Festival de Berlin 2022 sera venu de la section Panorama. Il s’agit du film islandais au titre ironique "Beautiful Beings", traitant de la violence au sein de la jeunesse du pays. Le film débute de manière nerveuse et percutante, par des plans furtifs sur des jeunes dotés de battes de baseball, enchaînant après un passage en voix-off sur le harcèlement scolaire dont est victime un jeune garçon peu à l’aise avec les autres (Balli), à la fois en classe et dans les couloirs de l’école. Au bord de la rupture nerveuse, la rébellion du jeune homme ne mènera qu’à une agression plus violente encore, l’envoyant à l’hôpital et faisant de lui le sujet d’un fait divers. Guðmundur Arnar Guðmundsson (réalisateur de "Heartstone : Un été islandais" et producteur de "Un jour si blanc") excelle d’emblée dans la mise sous tension du spectateur, alternant de superbes plans signifiant l’isolement du garçon (comme lorsqu'il est assis de profil dans un tuyau en tôle…) et une immersion au cœur d’une agression, dont on anticipe nerveusement les impacts par l’effroyable objet soudain choisi pour frapper le jeune homme. Utilisant régulièrement la caméra à l’épaule lors des passages plus tendus, le metteur en scène nous plonge ensuite dans le jeu malsain de provocations, vengeances et représailles auquel se laisse aller le groupe de trois amis, réveillant ainsi la nervosité maladive de leur jeune supposé protégé. Évoquant aussi des jeux d’équilibre et de confiance, c’est toujours finalement la question de la limite à ne pas dépasser qui se pose, unifiant d’abord le groupe avant de le faire potentiellement exploser. Dans ce monde où les parents semblent quasiment absents, ou sont incapables de poser des jalons, évoluent donc un séducteur bourrin (Konni), un fêlé au père alcoolique (Siggi) et le personnage principal (Addi) un peu plus réfléchi, dont la complicité avec Balli et les dissensions avec le groupe esquisseront un début de personnalité d’adulte. Une belle et amère réflexion sur la responsabilité, qui convoque aussi la notion d’amitié comme ciment de relations saines. A signaler que le film a reçu le Label Europa Cinéma, qui lui promet un bel avenir dans les salles art et essai du continent. Attachant et incisif, ce portrait d’ados à la dérive confirme l’originalité de style son réalisateur et présente un regard original sur les laissés-pour-compte de la société islandaise. Résumé : Addi, quatorze ans, est élevé par sa mère clairvoyante qui perçoit l’avenir dans les rêves. Il prend sous son aile Balli, un garçon introverti et en marge, victime de harcèlement scolaire. En l’intégrant à sa bande, ces garçons désœuvrés et livrés à eux-mêmes explorent la brutalité et la violence, comme seuls moyens d’expression et d’exister. Alors que les problèmes du groupe s’aggravent, Addi commence à vivre une série de visions oniriques. Ses nouvelles intuitions lui permettront-elles de les guider et de trouver leur propre chemin ? Critique : Diplômé de l’Académie des Arts d’Islande, Guðmundur Arnar Guðmundsson s’était installé au Danemark pour étudier l’écriture du scénario. Il s’est fait connaître avec des courts métrages et un premier long, Heartstone : un été islandais (2006), récit de l’été mouvementé de deux adolescents dans un village de pêcheurs isolé d’Islande. Les belles créatures (titre d’une ironie indéniable) est de la même veine mais dans un registre plus sombre, le cinéaste se frottant au thème de la violence juvénile, et de la délinquance des jeunes en général. De Los olvidados de Buñuel à Bully de Larry Clark, en passant par Orange mécanique de Kubrick, le cinéma a proposé de remarquables portraits de jeunes gens à la dérive. Sans trop jouer sur les clichés du déterminisme, Guðmundur Arnar Guðmundsson apporte une pierre honorable à l’édifice, avec une sincérité louable, que conforte la teneur plus ou moins autobiographique de son récit. JPEG - 171.3 kio © Salzgeber & Co. Medien. Tous droits réservés. Il précise ainsi dans le dossier de presse : « Alors que je cherchais une idée de scénario pour mon deuxième long métrage, certains rêves me hantaient et ne cessaient pas, jusqu’à ce que je commence à écrire cette histoire. Mes amis d’enfance et moi venons de familles ouvrières modestes. Mais notre monde était particulier. Les comportements violents faisaient partie de notre quotidien. De plus, dans ma famille, il y avait une forte croyance envers les phénomènes surnaturels et l’interprétation des rêves ». D’une part, le caractère semi-documentaire, d’une tonalité proche de Loach ou des Dardenne, ne sombre jamais dans le naturalisme cru, malgré certaines séquences sans concessions (tabassage, viol et autres déviances). Le réalisateur parvient ainsi à rendre attachants des personnages que l’on pourrait juger repoussants ou pathétiques dans la vie réelle, à l’instar des deux principaux protagonistes : le petit caïd à la tête d’ange Addi, et le souffre-douleur Balli, le second progressivement intégré et protégé par le premier, qu’interprètent avec finesse les jeunes Birgir Dagur Bjakarson et Áskell Einar Pálmason, sans le cabotinage ou les maladresses de jeu inhérents à maints acteurs débutants. JPEG - 270.7 kio © Salzgeber & Co. Medien. Tous droits réservés. D’autre part, un onirisme discret et suggestif suscite une distance bienvenue, sans donner toutefois casser la linéarité d’un récit qui ne se prête pas à une double lecture. Cette double dimension confère à ces Belles créatures un pouvoir attractif certain, amplifié par l’utilisation à la fois austère et esthétique des beaux paysages islandais, qui sont ici le décor d’une chronique sociale glissant vers la tragédie. Si la poésie de la détresse sociale n’atteint pas la dimension de Bird d’Andrea Arnold, et si le cinéma de Guðmundur Arnar Guðmundsson n’a pas la puissance de celui de son compatriote Hlynur Pálmason (Godland), Les belles créatures est recommandable et a bien mérité ses diverses récompenses, dont le Label Europa Cinemas à la Berlinale et le prix du scénario au Festival de Stockholm, en 2022. Titre Les Belles Créatures Genre Drame Réalisateur Gudmundur Arnar Sortie 2024 Durée 2h03 Musique Kristian Eidnes Scénario Gudmundur Arnar Pays Islande - Danemark SYNOPSIS Addi, 14 ans, est élevé par sa mère clairvoyante qui perçoit l'avenir dans les rêves. Il prend sous son aile Balli, un garçon introverti et en marge, victime d'harcèlement scolaire. En l'intégrant à sa bande, ces garçons désoeuvrés et livrés à eux-mêmes explorent la brutalité et la violence, comme seuls moyens d'expression et d'exister. Alors que les problèmes du groupe s'aggravent, Addi commence à vivre une série de visions oniriques. Ses nouvelles intuitions lui permettront-elles de les guider et de trouver leur propre chemin ?