Film de Xie Fei 1999
Les Femmes du lac… évoque, à travers le destin de Mme Xiang et sous la forme classique d’un mélodrame rural, l’évolution paradoxale de la femme chinoise aujourd’hui. Tourné dans la campagne du Sud entre Canton, Shanghai et Hong-Kong, le film met en scène une femme d’environ 45 ans, travailleuse acharnée, patronne d’une petite fabrique d’huile de sésame, mariée à un homme alcoolique et violent et mère d’un fils retardé mental. Sa réussite professionnelle n’est pourtant pas un gage d’indépendance. Elle reste soumise à son mari, dont il est impensable qu’elle divorce. Mme Xiang a réussi à conquérir une certaine liberté dans le travail , mais sa sujétion aux règles traditionnelles sur le plan privé semble immuable, et impose la répétition. Le personnage de la belle-fille incarne cette implacable reproduction. Vendue par sa famille couverte de dettes, HuanHuan est achetée par Mme Xiang pour être mariée à son fils malade et donner ainsi à ce dernier une position sociale. La scène du banquet où tous les habitants sont conviés est une façon pour Mme Xiang d’étaler sa richesse et d’accroître son pouvoir dans le village. Car la place de l’argent est prépondérante : tout se monnaie, que ce soit la femme, considérée comme une marchandise, le statut social, la fidélité de la clientèle de l’entreprise.
Le personnage de la belle-fille, violentée cruellement par le fils et servante de la maison, est un double douloureux pour Mme Xiang, qui fait subir à la jeune fille, en toute conscience, ce qu’elle-même a subi au même âge, et continue d’ailleurs de vivre dans son couple. Le talent de Xie Fei est de mettre en lumière les contradictions et l’hypocrisie de cette société très codifiée, avec une certaine sécheresse, une belle maîtrise des affects. En choisissant de filmer l’organisation du quotidien à la campagne, il montre une vie de groupe il y a en effet très peu de plans où Mme Xiang est seule et pointe également le retard pris dans les campagnes concernant l’évolution des mœurs. La rupture créée par le voyage à la ville est révélatrice : projetée dans un univers où elle n’a aucun repère, Mme Xiang défaillira dans la chambre d’hôtel et pour la première fois dévoilera sa faiblesse en se confiant à une femme d’affaires japonaise. Le foulard offert, symbole de féminité, la trouble et la gêne, tout comme la liberté de la Japonaise symbolisant une modernité à laquelle elle n’a pas accès. Si ce n’est, encore une fois, dans le travail, puisque la Japonaise, intéressée par la fabrication de son huile, donnera un essor imprévu à son entreprise en investissant dans des machines récentes pour augmenter sa productivité. Constat plutôt pessimiste, donc, pour la condition des femmes, même si l’émancipation par le travail est effective.
