Back Home

Je l'ai revu avec plaisir. J'aime l'atmosphère des films de Trier. Son nouveau film primé à Cannes sort à la rentrée.

Meme réalisateur que Julie en 12 chapitres et Oslo 311 Isabelle Hupert en photographe de guerre et mère souffrant de dépression

J'avoue ne pas avoir tout compris...

Une famille tente de se reconstruire après un deuil. Le cinéaste norvégien révélé par Oslo, 31 août revient avec un drame masculin. Beau et fantomatique. Il y a quatre ans, Joachim Trier devenait un nom familier du cinéma scandinave avec Oslo, 31 août, son deuxième long métrage. Ce récit d’une réinsertion ratée, dans les pas d’un junkie repenti s’acheminant vers une fin glaçante et inéluctable, dressait le constat sévère d’une société incapable de secourir les plus démunis. Le suicide, dès lors, devenait la seule option possible. Il figure encore le noyau inquiétant de son troisième film, présenté d’abord sous le titre Plus fort que les bombes en Sélection officielle à Cannes cette année. Rebaptisé sous un titre plus doux, Back Home sort de la sphère sociale pour ausculter le dysfonctionnement d’une famille, en pleine déroute depuis un deuil. Mère et épouse, l’héroïne morte interprétée par Isabelle Huppert (qu’on découvre à la faveur de multiples flash-backs) s’est fait connaître comme photographe de guerre. Célèbre grâce à ses clichés, la disparue est sur le point de faire l’objet, quand débute le film, d’une exposition doublée d’un article révélant les circonstances troubles et non accidentelles de sa mort. Une révélation qui menacerait le fragile équilibre d’un père (Gabriel Byrne) et ses fils (Devin Druid et Jesse Eisenberg). Une addition de solitudes Contrairement à Oslo, 31 août, à la temporalité restreinte (une seule journée), et son héros unique, Back Home rayonne en film choral enlaçant trois trajectoires masculines. Sur un plan d’ensemble, Trier embrasse avec beaucoup de justesse et de subtilité les tensions universelles entre père et fils ainsi que de rares nœuds de complicité. Face à un papa-poule ultra protecteur, pratiquant une surveillance asphyxiante du cadet, sa progéniture oscille entre humeur sombre et placidité. Le cinéaste norvégien capte tout aussi brillamment trois états de crise, liés à trois âges de la vie : consécutivement l’adolescence (repli sur soi et premier amour), l’entrée dans l’âge adulte (l’expérience d’une toute nouvelle paternité), et le début de la vieillesse (son miraculeux retour de libido avec une collègue-amie). Une addition de solitudes, en somme, enroulées autour d’une absence qui plane sur cette maisonnée moderne et inhospitalière, filmée comme une juxtaposition de pièces caverneuses. Un monde sans femmes, voilà ce que Trier sonde comme une vaste blessure, une béance, dans un pacte œdipien. Les frères visités en songe par leur défunte mère renoncent quelque temps au réel, préférant ce doux rêve morbide à leur vie. C’est pourquoi leur monde est saturé de souvenirs et de reconstitutions mentales ad nauseam d’accident de voiture (belles séquences tarantinesques de catastrophe ralentie). Et même si ce chaos temporel n’est pas en définitive la meilleure trouvaille de Trier (trop subtil ? artificiel ?), il coïncide avec une réflexion sur le temps et ses caprices, sa variabilité suspendue à nos affects (quel est le temps du deuil, celui du manque ou du désir ?). Un pipi au clair de lune Le réalisateur se surpasse quand il s’agit d’évoquer les heures noires de l’adolescence. Un pied dans le drame intimiste européen, l’autre dans le teen-movie américain : c’est de cette seconde influence qu’il fait son meilleur miel. Cela tient au magnétisme de son acteur – jeune garçon avachi, blafard, accro aux jeux de massacre en ligne et à la poésie. Plus encore à la chair spectrale de cette jeunesse. Si Gus Van Sant n’est jamais très loin (“Tu ne vas pas nous faire un massacre dans un lycée ?”, ironise son frère), présent aussi dans certains procédés (les boucles narratives), Trier ne garde de cette mythologie que la pelure – ses salles de classe, son stade, ses pom-pom girls – et quelques scènes mémorables : un pipi au clair de lune, la lutte des classes appliquée au lycée et expliquée par Jesse Eisenberg… Au pays des mères fantômes, les vies semées de rites et de références ne semblent pas moins inventées. Chacun est pris au piège de sa fiction, mais il faut en sortir, pour être capable de se parler. Pour vivre enfin sa vie, en ayant pris soin de chasser les spectres et leur secret. C’est l’horizon rêvé de ce beau film de revenant au cubisme ouaté. Back Home de Joachim Trier (Nor., Fr., Dan., 2015, 1 h 49)