
1971
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Documentaire / Drame
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1h13
Un film qui commence comme un 8 et finit comme un 10. Le réalisateur retourne une actualité tragique qui aurait pu mettre fin à son film et transforme se dernier en pamphlet documentaire engagé.
Distribué par Malavida Film commençant comme une fiction autour d’un nigerian et terminant en documentaire autour de son expulsion des US
Bushman”, film brûlot inédit en France À découvrir, un film-vérité de David Schickele sur les affres d’un Nigérian exilé dans la Californie raciste des années 1960. Aux images au noir et blanc magnifique. À la question « Comment enregistrer le réel ? », le réalisateur musicien David Schickele répond en brandissant sa caméra à bout de bras : il suit les pas erratiques de son personnage principal, immigré nigérian à San Francisco, pour un film brûlot resté inédit en France, Bushman (1971). Comme l’archange du même prénom, son héros Gabriel est un messager ballotté entre deux mondes. Mais rien de divin ici, bien au contraire, tout est d’un prosaïsme brutal : l’homme donne des cours à l’université mais son visa expire bientôt et il ne veut pas retourner dans son pays déchiré par la guerre civile. Ses déambulations américaines sont entrecoupées de flashs terribles sur les violences africaines – que David Schickele a tournés lui-même au Nigeria lors d’un séjour humanitaire. De violence, il sera aussi question à San Francisco : Gabriel est toujours renvoyé à son identité, de façon ouvertement raciste par presque tout le monde, et de manière plus insidieuse par ses compagnons intellectuels. Pour ces Afro-américains idéologues, Gabriel ne possède pas les codes occidentaux qu’ils essayent maladroitement de lui inculquer, le renvoyant brutalement à son africanité. « Je me demande combien de temps je vais pouvoir retenir ma colère », s’interroge Gabriel… Un style parfois onirique Dans la lignée du cinéma vérité des années 1960, David Schickele capte le réel, mais en le maquillant d’une fiction poétique – se démarquant ainsi de ses aînés Frederick Wiseman ou Jean Rouch. Ses cadrages millimétrés, son image au noir et blanc magnifique (sublimé par la restauration 4K), ses moments de grâce comme la virée sous la neige et son style parfois onirique font de Bushman un pur objet de cinéma. Et quand l’actualité vient percuter le tournage (et de plein fouet son acteur, Paul Okpokam) pendant les émeutes de 1968 sur les campus californiens, David Schickele l’intègre à son scénario, assumant un virage radical de sa narration qui laisse le spectateur happé et hanté pour longtemps. D’une grande liberté formelle, ce long-métrage inédit en France, qui date de 1971, sort en salle le 24 avril. Distribué par Malavida, il a bénéficié d’une restauration 4K. Après Nothing but a Man de Michael Roemer, (re)découvert l’an dernier, voici une autre pièce maîtresse du cinéma afro-américain qui resurgit des limbes, Bushman, tourné en 1968 par David Schickele et demeuré très longtemps inédit, y compris aux USA, malgré un prix remporté en 1971 au festival de Chicago. Sur une ligne de crête entre documentaire et fiction, sans jamais qu’on sache clairement ce qui relève de l’un ou de l’autre, Bushman met en scène Paul Eyam Nzie Okpokam, un Nigérian exilé en Californie L’intérêt éveillé ces dernières années par un cinéma sur l’expérience noire-américaine favorise la redécouverte d’un patrimoine longtemps resté aux oubliettes. Et avec lui, de noms dont nul n’avait entendu parler jusqu’ici. Rien ne prédestinait sans doute David Schickele, cinéaste et musicien blanc américain mort en 1999, descendant d’immigrés alsaciens, à compter dans cette postérité-là. Au début des années 60, pour échapper à l’enrôlement au Vietnam, ce pacifiste s’engageait en tant que prof au département d’anglais de l’université du Nigeria dans l’agence fédérale américaine des «Peace Corps». Il y fut marqué par sa rencontre au avec un étudiant nigérian, Paul Eyam Nzie Okpokam. Au point de le retrouver quelques années plus tard à San Francisco, et d’en faire le héros aux semelles de vent de Bushman, inspiré de son vécu, tourné entre 1968 et 1971 et resté inédit jusqu’à sa restauration récente. C’est un long métrage d’à peine plus d’une heure, chaviré par le tumulte de la fin des sixties et la fracture raciale de l’Amérique. Martin Luther King et Robert Kennedy viennent d’être assassinés. Les affiches du Black Panther Party tapissent les murs du quartier noir de Fillmore. Cherchant toujours son absolu, la jeunesse contestataire mord le pavé, les émeutes font rage jusque sur les campus. Le film est fait pour accueillir les déambulations d’un outsider au nom d’archange, Gabriel, ayant fui la guerre civile dans son pays natal, jeté dans de nouvelles turbulences identitaires aux Etats Unis. Au centre du film : l’ambigu cousinage entre le Noir-Américain et l’Africain. Lequel est le «vrai», l’un doit-il forcément être le nègre de l’autre ? Où leurs destins d’écrasés se rejoignent-ils, que doit le fantasme du «retour aux racines» au mythe du bon sauvage ? La violence n’est pas ce qui transite le plus distinctement dans le flux libre de Bushman. Elégamment modelé par le style «cinéma direct» de son époque, à la lisière du documentaire, le film tient du récit picaresque, mais amer, sorte d’essai bohème sur l’africanité dans un pays où être noir, c’est tout un programme. Se confiant à «sa» communauté, le jeune homme raconte être épargné par la police grâce à son accent d’étranger, et éprouve l’inconfort de ce faux privilège. Se revendiquant comme un «homme de la brousse», Gabriel /Paul, séduisant, cultivé, traverse toutes les situations avec une nonchalance souveraine, trimballant avec lui la nostalgie du village qu’il a quitté. Ses souvenirs, évoqués pour la caméra, abreuvent le film, des raccords visuels et sonores juxtaposent la mémoire du Nigéria au présent américain. Les rencontres amoureuses et sexuelles du jeune homme forment l’un des fils conducteurs de Bushman, manière de prendre le fétiche racial en flagrant délit. De la première petite amie noire de Gabriel, qui apprend le «black talk» à son amant (le sociolecte des afroaméricains), aux projections exotiques de l’intelligentsia blanche, la satire joue son rôle autant qu’elle peut (allez-vous repérer Jack Nance, futur acteur fétiche de David Lynch ?). Accomplir la liberté du film, mener à bien le portrait de Gabriel : ces deux souhaits ne se rejoignent pas toujours. Le jeune homme à la pensée nomade ressemble parfois à une idée de personnage, et le racisme, à un sujet de conversation, avant de forcer brutalement la porte du film. Car le film a un secret, qui ne se dévoile qu’en bout de parcours. L’acteur disparaît avant la fin du tournage, accusé d’un acte terroriste qu’il n’a pas commis, et Bushman doit être terminé autrement. Face caméra, l’équipe et le cinéaste s’en expliquent au spectateur, désemparé de voir l’histoire s’interrompre – pareil au client lésé par un service qui aurait demandé à parler au manager. On nous dit : «Le type qui était assis là, il n’est plus là et il ne reviendra plus.» Il n’est pas mort, mais symboliquement, c’est tout comme, puisqu’il ne peut plus venir nous parler à l’écran. L’imprévu du tournage force soudain le film à abandonner ses intentions presque trop exemplaires pour étreindre la vérité de son sujet, plus terrible, plus injuste encore que ce qu’avait scénarisé la fiction. Rendu à la mémoire cinéphile et politique plus de cinquante ans après sa réalisation, Bushman semblait vouloir offrir une leçon poétique sur le réel, mais le réel ne lui a pas fichu la paix, c’est lui qui est venu donner au film une leçon. David Schickele en tire les conséquences dans un dernier acte émouvant, commentant les images du quartier détruit où son Gabriel ne déambulera plus. Une scène le voit questionner son calme face au chaos du monde, se demandant ce qui pourrait enfin allumer la mèche de la colère chez lui. C’est l’une des dernières confidences du personnage avant qu’une histoire d’urinoir en feu le force à prendre congé, lui coupant sinistrement le sifflet. On dirait une blague surréaliste. Titre Bushman (version restaurée) Genre Film documentaire Sortie 2024 Durée 1h15 Origine Etats-Unis SYNOPSIS Dans les États-Unis agités des sixties. Entre rencontres, escapades et errance, un jeune Nigérian s'inquiète de voir son visa arriver à expiration. CASTING Jack Nance Felix Patrick Gleeson Marty
David Schickele (1971) - Reflet Médicis