Drame • de Thien An Pham • 2023 • 2h58 • avec Le Phong Vu, Thinh Nguyen, Nguyen Thi Truc Quynh, Vu Ngoc Manh.
Un accident de moto tragique se produit à Saigon, au cours duquel une femme décède, et son fils de 5 ans, Dao, survit miraculeusement. Désigné pour ramener le corps de sa belle-soeur au village natal, Thien décide d'emmener le jeune Dao avec lui. Une fois sur place, il part à la recherche de son frère disparu quelques années auparavant. C'est dans cette campagne vietnamienne qu'il se retrouve face à lui-même, tentant de comprendre la raison pour laquelle se sont produits ces évènements tragiques. Il comprend alors qu'il s'agit d'une quête de sa propre foi et espère que ce long voyage lui permettra de trouver un sens à sa vie...
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Sur l’atlas mondial du cinéma, le Vietnam était quasiment invisible jusque-là. Mais voici qu’un jeune réalisateur de 34 ans, justement récompensé par la Caméra d’or à Cannes en mai dernier, fait apparaître son pays en s’affirmant déjà comme un auteur talentueux plein d’avenir. Son personnage, Thien, est un jeune homme qui semble toujours un peu endormi, ailleurs, plongé dans ses pensées. La dure réalité se rappelle à lui lorsqu’il apprend la mort de sa belle-sœur, mère d’un petit garçon de 5 ans, dans un accident de moto. L’enfant, qui était avec elle, a miraculeusement survécu. Thien se charge de le ramener dans leur village natal, ainsi que la dépouille de sa belle-sœur. À ses obsèques, célébrées selon le rite catholique, une foule importante est présente.
Malgré ces notes funèbres, malgré la mélancolie ambiante, on respire ici, étrangement, un air frais. Le film ouvre sur des champs verdoyants, une montagne encerclée de brume. Cinéma du paysage, cinéma de l’âme qui dérive et de la foi vacillante. Car pour Thien, qui fait partie de la minorité catholique vietnamienne, le doute s’est insinué. La mort soudaine de sa belle-sœur, son travail insatisfaisant de vidéaste dans les mariages, l’évaporation de son frère, tout cela concourt à faire naître en lui une sorte de crise. Qui ne dit pas son nom car ce cinéma reste pudique, délicatement ouaté. Une scène l’illustre bien. Après la messe de l’enterrement, Thien retrouve un amour passé, une jeune femme gracile entre-temps rentrée dans les ordres. Le couple échange quelques mots sur une terrasse qui domine la campagne, mais il est filmé de dos et à distance. Comme pour signifier le cruel éloignement entre eux.
Le réalisateur donne du temps au temps, recourt à des plans-séquences inspirés, en évitant l’écueil de la monotonie. Il y a toujours à l’image un micro-événement, un bruissement d’ailes, un détail, qui relance l’attention. Et redonne en quelque sorte du sens à cette quête mystique qui ne manque pas non plus d’esprit facétieux – Thien semble avoir un don naturel de magicien et fait souvent des tours de cartes bluffants à son neveu.
Dans la dernière demi-heure, le personnage commence à se détacher de tout, à travers une fascinante errance. Non seulement les rêves prennent de plus en plus de place, mais la réalité elle-même devient incertaine. C’est le temps de l’épiphanie – cet arbre dans le crépuscule constellé de papillons qui prennent soudain leur envol. Mais aussi le temps de la suspension, du purgatoire flottant, entre mort et possible renaissance.
TÉLÉRAMA • Par Jacques Morice • Publié le 19 septembre 2023.
