The Lobster est un film assez génial, brillant dans son absurdité. Derrière son concept volontairement radical d’une société où le célibat est puni et où le couple devient une obligation politique, Yórgos Lánthimos livre une satire féroce de nos rapports contemporains à l’amour. Le film attaque frontalement le couple normatif, les croyances naïves autour de la “compatibilité” réduite à quelques traits superficiels, et plus largement une société où l’individualité se dissout sous la peur panique de la solitude affective.
Lánthimos maîtrise parfaitement ce ton étrange, à la fois loufoque, glaçant et extrêmement précis. L’absurde n’est jamais gratuit : chaque règle, chaque situation pousse la logique sociale jusqu’au malaise, révélant à quel point ces normes sont déjà bien présentes dans notre réalité. Le film questionne ainsi nos définitions du bonheur, de l’amour et du compromis, jusqu’à l’aliénation totale. Il nous montre aussi qu’il n’y a aucune issue dans les extrêmes : le couple comme le célibat deviennent des systèmes totalitaires, régis par les mêmes mécanismes de contrôle et de violence.
Colin Farrell est remarquable dans ce rôle froid, antipathique et maladroit, mais jamais totalement dénué de sensibilité. Sous cette carapace rigide, on devine une vulnérabilité qui rend le personnage attachant malgré lui. Le parallèle avec l’animal qu’il choisit (la langouste) fonctionne très bien, à la fois symboliquement et émotionnellement, et éclaire sa trajectoire de manière assez fine.
Les dialogues et les interactions sont volontairement mécaniques, lunaires, parfois dérangeants, et c’est précisément ce qui fait la force comique du film. La vulgarité, souvent brutale et totalement déplacée dans le contexte des conversations, devient ici un outil absurde redoutablement efficace, renforçant le décalage permanent entre les personnages et leurs émotions supposées.
La mise en scène et la photographie sont superbes, avec des cadres très composés et une utilisation marquante du ralenti (notamment dans la scène de chasse) qui accentue la violence sourde de cet univers. La musique, majoritairement classique, apporte une solennité presque tragique à des situations profondément absurdes, renforçant encore le malaise.
Enfin, le final est particulièrement réussi. Il laisse le spectateur face à une question simple et vertigineuse : jusqu’où est-on prêt à aller pour se conformer aux normes sociales et affectives ? The Lobster ne donne pas de réponse, mais pousse la réflexion jusqu’à son point de rupture, avec une ironie froide et un sens du malaise parfaitement assumé.