Biographie • 1h46 • 2014 • France • Réalisé par Jalil Lespert • avec Pierre Niney, Guillaume Gallienne, Charlotte Le Bon, Laura Smet.
En 1957, à tout juste 21 ans, Yves Saint Laurent est propulsé à la direction artistique de la maison Christian Dior. Le jeune créateur présente sa première collection, "Trapèze", lors d'un défilé triomphal où il rencontre Pierre Bergé, qui devient son amant. Un succès qui lui permet de fonder sa propre maison avec l'aide de son compagnon, mais qui ouvre aussi la porte à une grande angoisse. Les années 1970 sont celles de la consécration, mais aussi des excès qui commencent à abîmer la santé du créateur. Sujet à des accès de dépression, Saint Laurent se réfugie dans le travail, en concevant des collections qui marquent l'histoire de la mode...
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Tant qu'à produire des biopics à la chaîne, le cinéma français ne pouvait passer à côté d'Yves Saint Laurent, qui a eu, plus qu'un autre, une vie romanesque. Deux films lui sont consacrés en 2014. Celui-ci assume sa vocation populaire, sa touche Paris-Match — magazine souvent cité dans les dialogues — et son faste : la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent a soutenu le projet et donné accès aux somptueux vêtements originaux et à des lieux de travail ou de vie du grand couturier à Paris et à Marrakech. Le réalisateur, Jalil Lespert, qui s'est d'abord fait connaître comme acteur et n'avait signé qu'un long métrage (Des vents contraires), conduit ce paquebot de luxe avec une aisance imprévue. Mais la biographie filmée est un genre si répandu et codifié qu'il faut plus que de l'aisance pour s'y singulariser : ce sont les deux comédiens principaux qui transcendent l'académisme.
Pierre Niney, jeune pensionnaire de la Comédie-Française, est prodigieux. Non seulement il atteint un degré de mimétisme sidérant, mais le tour de force ne l'empêche pas d'être intensément présent, à vif et à nu, comme s'il jouait un personnage imaginaire tenant par sa seule incarnation. Tôt dans le film, une scène dramatique — le premier accès sévère de mélancolie de Saint Laurent, encore employé chez Dior — donne la mesure de ce travail subtil, qui mêle fidélité au modèle et vérité de l'acteur. Face à lui, Guillaume Gallienne (autre star du Français) surprend aussi, moins en cherchant la ressemblance avec Pierre Bergé qu'en livrant une voix et un visage inconnus, tout à fait plausibles, d'une masculinité aux antipodes de sa prestation triomphale dans Les Garçons et Guillaume, à table !
Commencé à Oran, ville natale, le récit chronologique, de 1956 à 1976, se concentre sur l'ascension et les succès, sans échapper à la fatalité du survol, d'un défilé grandiose à l'autre. Dommage que les deux amies et muses capitales, Betty Catroux (Marie de Villepin) et Loulou de la Falaise (Laura Smet) soient réduites à de la quasi-figuration. En revanche, l'histoire d'amour au long cours entre le créateur et l'homme d'affaires prend un relief indéniable. Le film est ainsi le premier biopic français grand public montrant un couple gay et c'est, de surcroît, un couple anticonformiste, affranchi des conventions et de la fidélité.
Les zones d'ombre — les addictions multiples d'Yves Saint Laurent — sont effleurées, mais assez pour entretenir le trouble. C'est donc un cas très rare où deux films coup sur coup ne seront pas de trop. Tant mieux si une autre vision s'annonce, et très différente, pour le second semestre — celle de Bertrand Bonello, réalisateur de L'Apollonide, avec Gaspard Ulliel dans le rôle de Saint Laurent. En attendant, cette honnête introduction à une histoire complexe et unique attise la fascination.
TÉLÉRAMA • Louis Guichard • Publié le 11/01/2014.