2022
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Olivier Assayas
Summary
Mira is an American movie star disillusioned by her career and recent breakup, who comes to France to star as Irma Vep in a remake of the French silent film classic, "Les Vampires."
Série humoristique • 2022 • écrit et réalisé par Olivier ASSAYAS • avec Alicia Vikander, Vincent Macaigne, Bowers Byron, Nora Hamzawi, Devon Ross, Lars Eidinger, Vincent Lacoste, Jeanne Balibar. Vingt-six ans après son film Irma Vep (1996), Olivier Assayas réinvente cet hommage au cinéma en général et aux Vampires (1915) en particulier. René Vidal, double délicieusement caricatural du réalisateur, tourne une nouvelle version de ce « serial » de Louis Feuillade, où une voleuse virtuose nommée Irma Vep se joue de la police et d’un journaliste d’investigation. Ce sera cette fois-ci une série, incarnée par une jeune actrice hollywoodienne, Mira. Entre le plateau, la chambre de son palace et les soirées où on l’invite, elle se laisse peu à peu consumer par son personnage… Cette mise en abyme est l’occasion pour Olivier Assayas de se livrer à une réflexion sur le rapport entre le metteur en scène et ses comédiens, et entre les comédiens et leurs rôles. Les débats à bâtons rompus et les questions en sous-texte se multiplient, sans qu’il y apporte de réponses toutes faites : le cinéma est-il devenu du « contenu » ? Une série est-elle la même chose qu’un film découpé en huit épisodes ? Que reste-t-il de la notion de « vamp » à l’heure de #MeToo ? Irma Vep, dans les premiers épisodes que nous avons pu voir, est heureusement plus qu’un exercice critique. Ses personnages hauts en couleur apportent un recul ironique, et le plaisir que prennent ses interprètes est contagieux. TÉLÉRAMA • Par Pierre Langlais • Publié le 31 mai 2022. ▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️▪️ La filmographie d’Olivier Assayas jongle avec les genres cinématographiques. On parle d’un réalisateur capable d’enchaîner l’adaptation d’un classique de la littérature française (Les Destinées sentimentales, 2000) et un thriller dans l’univers des jeux vidéo (Demonlover, 2002), ou de tourner, la même année, une comédie de mœurs intello (Doubles Vies, 2019) et un film d’espionnage (Cuban Network). Mais son œuvre se joue aussi des frontières entre cinéma et télévision. L’Eau froide (1994), son cinquième long métrage, et l’une de ses réussites majeures, était, à l’origine, un téléfilm commandé par Arte. Et Carlos (2010), sa minisérie sur le terroriste « vedette » des années 1970 et 1980 tournée pour Canal+, est peut-être sa réalisation la plus ambitieuse. À 67 ans, le cinéaste adapte l’un de ses films les plus chers à son cœur, Irma Vep, pour créer, à la demande de la chaîne américaine HBO, une série en huit épisodes d’une heure, en Sélection officielle au Festival de Cannes (section Cannes Première), puis diffusée en France sur OCS City à partir du 7 juin. En 1996, Maggie Cheung y incarnait une star du cinéma hongkongais venue en France pour tourner, sous la direction du metteur en scène René Vidal (Jean-Pierre Léaud), un remake des Vampires, le classique du muet signé Louis Feuillade en 1915. Les rôles principaux sont désormais tenus par la Suédoise Alicia Vikander et par Vincent Macaigne, mais il est toujours question d’une actrice qui perd contact avec la réalité et se fait peu à peu vampiriser par son personnage. L’occasion, pour le réalisateur de Demonlover et de L’Heure d’été, de parler (un peu) de lui et (beaucoup) de l’évolution du cinéma depuis un quart de siècle. 🎦 Les premiers épisodes d’Irma Vep viennent d’être projetés en avant-première au Festival de Cannes. C’est pourtant une série… Je ne considère jamais mes films comme du cinéma ou de la télévision, mais comme des fictions. Et je les tourne de la même façon. De plus, Irma Vep est une série, mais qui parle de cinéma. Il a donc été question assez rapidement de la montrer à Thierry Frémaux, le délégué général du Festival. Elle a sa place dans le débat cannois. 🎦 René Vidal, le personnage de réalisateur incarné par Vincent Macaigne dans Irma Vep, explique qu’il ne tourne pas une série mais un film en huit parties. Vous aussi ? C’est une question de sémantique, mais j’ai tendance à dire que là où il y a de la liberté dans la fabrication des images, cela s’appelle du cinéma. Le reste, par opposition, c’est du flux, c’est l’industrie. Je n’ai pas l’impression ici d’avoir fait quelque chose de différent de mes autres films, mais je l’ai développé sur huit heures, ce qui est épuisant. J’ai tout écrit, réalisé, dirigé la post-production dans des délais délirants. HBO m’a laissé une liberté totale, et m’a permis d’avoir un budget satisfaisant, mais j’ai dû, de mon côté, accepter de travailler d’arrache-pied, comme jamais par le passé — j’ai eu douze jours de tournage et deux semaines et demie de montage par épisode, ce qui est très peu. 🎦 Si c’est si difficile, pourquoi créer une série ? Quand je réalise des œuvres de huit heures comme Irma Vep, ou de cinq heures pour Carlos, ça me permet de raconter autre chose, pas nécessairement mieux que dans un long métrage, mais différemment. D’aller plus loin dans les thématiques que je développe. Avec Irma Vep, je reprends l’idée de mon film, et je la confronte à un monde du cinéma en profonde mutation. Pour bien le faire, je dois tirer tous les fils : l’humain, le travail, le rapport avec le passé et l’avenir du cinéma. Je ne peux pas juste les effleurer. Je dois les traiter en profondeur. Et pour ça, j’ai besoin de temps. 🎦 De quelles mutations parlez-vous ? La façon dont les films sont financés, consommés et perçus, leur valeur symbolique, sont en train de changer en profondeur. L’écosystème du cinéma français est chamboulé et doit faire attention à protéger ses avantages, notamment son système d’aide aux premiers films, qui profitent rarement du soutien du marché. Irma Vep pose une question : que faire du chaos dans lequel nous sommes plongés ? Par sa seule existence, elle offre une forme de réponse, plus efficace et plus complète que tous les discours qui y sont tenus : ça a été plus facile de faire une série de huit heures pour HBO que de continuer à fonctionner comme je le faisais au sein du cinéma en France. Il y a là un nouveau chemin, praticable, pour un auteur français : être financé par une plateforme et produit par une compagnie américaine. 🎦 Est-ce à dire qu’il est difficile de faire le cinéma que vous voulez en France ? C’est très français de se plaindre, de dire que tout est trop dur, alors que nous sommes privilégiés. Mais, de fait, je connais bien notre système et je ne m’y sens pas très à l’aise. Je fais des films hybrides. Sils Maria (2014) et Personal Shopper (2016), par exemple, ont été tournés en anglais, et n’étaient donc pas éligibles aux aides en France… alors que ce sont des films purement français ! Le CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée, ndlr] a fini par corriger cette injustice et a créé un crédit d’impôt pour les œuvres françaises en langue étrangère… qui a profité à Luc Besson quand il a réalisé Valérian et la Cité des mille planètes (2017). 🎦 Un des personnages de votre série explique que le cinéma, depuis ses origines, est du “contenu”. Est-ce aussi votre avis ? C’est simplement la stricte vérité. On reproche souvent aux séries d’être du « flux », de servir à alimenter les tuyaux pour nourrir des spectateurs avides de nouveautés. Mais on peut en dire autant du cinéma des origines. On a inventé une machine à la fin du xixe siècle, le public s’y est intéressé, et à partir de ce moment-là il a fallu la nourrir pour que les spectateurs continuent de venir dans les salles obscures. Cette machine a été notamment alimentée, comme en littérature, par un format feuilletonnant sublimé par Balzac, Dickens ou Henry James. En quoi cela est-il bien différent du format série télé d’aujourd’hui ? 🎦 Que faire des figures de style narratives propres aux séries ? Elles font partie de la règle du jeu. Il faut qu’à la fin de chaque épisode on ait envie de voir le suivant, et parce qu’on s’adresse à un public plus large qu’au cinéma veiller à distiller les informations de manière claire. Mais je suis très réticent à utiliser le langage des « script doctors » américains, tous ces termes techniques et ces figures imposées qui rendent la dramaturgie conventionnelle. J’ai toujours réalisé mes films dans un cinéma moderne où la narration doit être bousculée. Avec Irma Vep, j’ai fait un pas vers une forme de rationalisation de l’écriture, mais HBO et le producteur A24 [derrière, entre autres, la série Euphoria et les films Midsommar et Minari, ndlr] en ont fait un plus grand encore dans ma direction en m’offrant une liberté qu’on ne trouve que dans certaines séries… 🎦 Lesquelles ? Mea culpa, mea maxima culpa, je ne regarde pas de séries. Je n’ai pas le temps ! J’écoute de la musique, je lis et je ne regarde que des films, bien souvent sur ma télé. Je redoute le côté addictif de la consommation de séries. Mon inculture en la matière devient un souci quand, inévitablement, la conversation bifurque sur la dernière série à la mode et que je me retrouve isolé, terriblement seul. Mais ça a un avantage : comme je ne sais pas ce qu’il y a dans les séries, je peux en faire une qui est différente des autres ! 🎦 Les Vampires, de Louis Feuillade, était un film à épisodes, comme une série ! À l’origine, je voulais appeler Irma Vep « The Irma Vep Serial », en hommage à ce cinéma des débuts, ces « serials » très pulp, que j’ai beaucoup regardés et analysés, dès mes études. Mais HBO a eu peur que les gens ne comprennent pas ce terme désuet. L’idée, c’était de ramener l’histoire des Vampires à ses origines, à la dynamique narrative de ce genre, à sa si belle énergie, presque enfantine. De rappeler que, dans les années 1910, les spectateurs attendaient fébrilement les nouveaux épisodes des Vampires, qu’ils se précipitaient au Gaumont Palace tous les quinze jours, impatients de retrouver les personnages et les in-trigues délirantes de Feuillade. 🎦 En revenant à Feuillade, rendez-vous aussi hommage au cinéma de genre ? Certains des plus grands cinéastes français, comme Jean-Pierre Melville, ont réinventé le cinéma de genre et influencent encore aujourd’hui les metteurs en scène. Quand je fais Irma Vep, j’affirme la particularité d’un genre à la française, descendant du roman-feuilleton et des films muets, qui traverse notamment les œuvres de Georges Franju ou de Jacques Rivette, bien différent de l’héritage de la production fantastique américaine. Un cinéma populaire, un art contemporain accessible à tous, qui rend compte des fantasmes, des rêves, de l’inconscient d’une époque. Les films comme Dune (2021), de Denis Villeneuve, qui cherchent à proposer autre chose que le tout-venant, qui disent que le genre n’est intéressant que s’il bouscule le genre, se font rares. C’est pourtant l’antidote aux blockbusters Marvel, devant lesquels je m’ennuie comme un rat, qui sont ternes, tristes et ressemblent à de mauvais jeux vidéo. On oppose souvent, à tort, cinéma et séries, mais le vrai débat, le vrai antagonisme, est entre les films et les franchises comme les Avengers, ces suites qui envahissent Hollywood ! 🎦 Après Kristen Stewart, ex-star de Twilight, vous mettez justement en scène Alicia Vikander, rendue elle aussi célèbre par un film d’action hollywoodien, Tomb Raider… J’ai toujours cru en un dialogue fructueux avec ce type d’actrices passées par l’industrie américaine, à une forme d’échange équitable. Elles me donnent quelque chose en acceptant d’être sorties de leur zone de confort, poussées dans leurs retranchements. En retour, je leur offre de la liberté, davantage d’espace, dans un cadre de travail plus léger, moins contraignant. Je ne fais pas de répétitions, je préfère les laisser s’approprier leurs scènes, retoucher leurs textes, improviser si elles le souhaitent. Les grands acteurs ne sont pas heureux dans cette industrie où on leur demande de s’agiter devant des fonds verts, engoncés dans des costumes inconfortables. Au mieux ils s’amusent, au pire ils s’ennuient à mourir, loin de toute réflexion de fond sur ce qu’est le jeu et sur leur rapport au monde. Avec moi, ils peuvent créer. Et je profite du plaisir qu’ils en tirent, a fortiori dans le cas d’une série comme Irma Vep, une mise en abyme dont l’héroïne est elle-même une actrice hollywoodienne en quête de quelque chose de différent. 🎦 Difficile de ne pas voir dans le personnage de René Vidal un double de vous… Dans le film Irma Vep, Jean-Pierre Léaud joue un réalisateur purement fictionnel, que je regardais avec un peu de distance, laissant au comédien le choix de ses modèles. Le temps a passé, je suis désormais plus proche, en âge et en expérience, de ce cinéaste de fiction. Sa problématique artistique, son rapport au cinéma sont devenus les miens. Vincent Macaigne compose donc une version caricaturale de moi, drôle mais touchante, en usant d’une forme de mimétisme. Ce qui est en jeu ici, c’est la circulation du réel et de l’imaginaire dans cette bulle qu’est le décor de cinéma. Après des semaines, parfois des mois sur un tournage, on se perd dans les interstices entre ce qui tient du personnage et ce qui tient de l’auteur, ou de l’acteur. Que fait-on là ? Pourquoi raconte-t-on cette histoire ? Il arrive que l’inconscient devienne le moteur de la création. Je déplore d’ailleurs que la psychanalyse ait perdu de l’importance dans la réflexion sur le cinéma. Ce qui m’intéresse, c’est l’invisible, la façon dont les gens sont agis par leurs propres doutes, leurs angoisses et leurs fantasmes. L’analyse, en particulier jungienne, offre une formidable boîte à outils, mais elle prend la poussière aux dépens d’un discours plus conventionnel, plus psychologique, qui envahit l’espace public aujourd’hui, simplifiant quelque chose d’infiniment complexe. 🎦 Irma Vep est-elle une forme de psychanalyse pour vous ? Il y a évidemment un côté autobiographique dans cette série. Je le traite avec un peu d’ironie, mais quand on me propose de revisiter Irma Vep, je suis amené à questionner mon rapport à ce film qui a changé ma vie à beaucoup d’égards. Suis-je en paix avec lui ? Ni oui, ni non. J’ai été marié plusieurs années avec son actrice principale, Maggie Cheung, matérialisant ainsi une réflexion jusqu’ici très théorique sur mon rapport aux comédiennes, et cette circulation entre fiction et réel dont nous parlions. À l’époque du film, Maggie était une étrangère. En devenant ma femme, elle a rétrospectivement changé la nature du film. Quand je crée la série Irma Vep, je fais revivre Maggie et ma relation à elle, je m’en nourris, m’en inspire… et de ce fait je me mets en danger. Je signe une sorte d’histoire de fantômes, sur le passé du cinéma, celui du personnage, et sur le mien. La catharsis aura-t-elle lieu ? Faire cette série sur quelque chose d’irrésolu me permettra-t-il de le résoudre, ou rouvrira-t-il des plaies ? Il est trop tôt pour le dire… 🎦 Irma Vep (l’anagramme de « vampire ») est une vamp. Qu’est-ce qu’une vamp à l’heure de #MeToo ? Revoir Musidora, l’interprète de l’Irma Vep originelle, c’est se souvenir qu’elle était bien plus qu’une vamp : une des premières réalisatrices, une autrice, une artiste complète. Je me suis d’ailleurs inspiré de ses Mémoires, où elle parle abondamment du tournage des Vampires. Ce qui se joue, à travers cette notion de vamp, c’est la question de l’érotisme, qui est un des principaux outils pour faire revenir le spectateur dans les « serials » comme dans le cinéma hollywoodien classique – les représentations de corps alanguis, inspirées par le pompiérisme, ont marqué les œuvres de réalisateurs à succès comme Cecil B. DeMille et toute l’histoire des péplums. Le sexe n’y était pas représenté frontalement mais utilisé comme une promesse pour maintenir l’attention des spectateurs. C’est de moins en moins le cas aujourd’hui. Il faut manier comme un chimiste sa représentation, en ne débordant pas sur des zones où les gens pourraient être mal à l’aise. Sans provoquer de débat. Au risque de voir les questions de société prendre le pas sur des choses plus mystérieuses comme la création, le récit, la fiction et le fait que l’auteur travaille aussi avec ses perversions… 🎦 René Vidal s’exclame : “Les films, ça ne m’intéresse plus !” C’est une provocation ? J’ai écrit une bonne partie de cette série pendant les confinements, une époque où, fatalement, je n’allais plus au cinéma – je continue de ne presque plus m’y rendre, faute de temps. Les films ne me nourrissent pas toujours. Il arrive même qu’ils deviennent des boulets – en ce moment, je ne peux voir que des œuvres de John Ford ! Ça m’amusait de faire dire ça à René, qui est plus intéressé par ses fantômes que par le cinéma. TÉLÉRAMA • Par Samuel Douhaire, Pierre Langlais • Publié le 07 juin 2022.
Du grand cinéma dans une série ! Mis à part le premier épisode qui installe les personnages, j’ai été époustouflé par des trouvailles cinématographiques, le scénario et le jeu d’acteur vraiment excellent.
Brillant original
Voir la fabrication d’un film : réjouissant !