
2023
•
Ivan Jablonka
Résumé
Jean-Jacques Goldman n’est pas seulement un grand nom de la chanson. Il est aussi un enfant d’immigrés juifs devenu la personnalité préférée des Français, un artiste engagé après la mort des utopies, un artisan au coeur des industries culturelles, un homme en rupture avec les codes virils. Le succès n’a affecté ni sa droiture ni son humilité. Pour exister, Goldman a dû composer avec les règles de son temps, mais il a fini par composer lui-même l’air du temps, les chansons que les filles écoutaient dans leur chambre, les tubes sur lesquels tous les jeunes dansaient, les hymnes des générations qui se pressaient à ses concerts. Et puis, au sommet de la gloire, l’hyperstar a choisi de se retirer. Dans la folie des réseaux sociaux, son invisibilité le rend étrangement visible. À force d’absence, et parce qu’il n’a jamais été aussi présent, Goldman est devenu un mythe. Ce livre retrace le parcours d’un artiste exceptionnel, tout en racontant nos années Goldman.
Opinion du public
70 avis
6.3/10
Les avis sur l'ouvrage de Jablonka révèlent un mélange de fascination et de critique. Les lecteurs apprécient l'analyse profonde de Goldman comme phénomène culturel et social, bien que certains trouvent le style trop académique et les détails parfois ennuyeux. Malgré l'absence de croustillant habituel des biographies, l'essai est salué pour son sérieux et son approche originale, même si Goldman lui-même n'a pas apprécié la démarche.
👍 Analyse profonde d'un phénomène culturel.
👎 Peut sembler académique et ennuyeux.
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Déception Par rapport à Laetitia et en camping-car Lu dernière moitié en diagonale Trop d’infographies de tableaux de notes pour avoir l’air sérieux Trop fan et trop partie prenante pour son héros
Recommandé par Eva Lysy
Ivan JABLONKA • Le Seuil • 400 p. Sur les photos volées des paparazzis qu’on trouve sur Internet, une silhouette furtive, -habillée de gris clair et de gris foncé dans une rue quelconque. Ce pourrait être n’importe qui, sauf qu’il s’agit de Jean-Jacques Goldman, 71 ans, chanteur célèbre, personnalité préférée des Français pour la douzième fois en 2023, ancien patron des Restos du cœur, auteur-compositeur de tubes à foison (essayez J’irai où tu iras, son duo avec Céline Dion, effet garanti en soirée). Jean-Jacques Goldman, omniprésent dans les années 1980 et 1990, devenu une énigme depuis qu’il a fait vœu de silence médiatique. Rare retraité volontaire de la musique (en 2004, à 53 ans), exilé un temps à Londres mais qui a toujours payé ses impôts en France, désormais marseillais avec seconde femme et enfants, tandis que sa progéniture adulte, de son premier mariage, s’essaie à la notoriété. Son fils Michael a dirigé la Star Ac, version 2023. Sa fille Caroline, pédopsychiatre, est à l’origine d’une bataille rangée sur l’éducation des enfants, pour avoir remis au goût du jour l’expression « file dans ta chambre » (on schématise). Plus qu’une hyperstar, « Goldman est un mythe français », s’enthousiasme l’historien Ivan Jablonka, qui lui consacre un ouvrage en cette rentrée littéraire. Quatre cents pages, avec tableaux du champ lexical des paroles, critiques et louanges, et surtout analyse du phénomène populaire et de sa réception, d’hier à aujourd’hui. Il aurait aimé accéder aux archives du chanteur, qui n’a pas répondu. Son livre n’a rien d’une biographie croustillante, les amateurs du genre en seront pour leurs frais, autant les prévenir. Mais c’est un ouvrage passionnant. « Joyeux, ajoute Ivan Jablonka, parce que je n’en ai pas fait tant que ça. » L’auteur est plus connu du grand public pour avoir écrit sur des Juifs polonais emportés par la Shoah (Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus, 2012), un féminicide (Laëtitia ou la Fin des hommes, prix Médicis 2016), la domination masculine (Un garçon comme vous et moi, 2021), ou les enfants abandonnés, lors de sa thèse. Seule exception : son essai sur le camping-car (2018). « La pop habite tellement notre vie qu’on oublie que c’est un sujet très intéressant pour les sciences sociales. Les Anglais se sont toujours intéressés au rock, mais en France, c’est incroyable de voir le dédain que les élites ont réservé à la variété en général, à Goldman et aux idoles des années 1980 en particulier. Donc, en tant qu’historien, je voulais prendre la pop au sérieux. » Pas besoin d’avoir chanté Encore un matin sous la douche ou hurlé Je te donne en concert pour dévorer Goldman. Car à travers le parcours de cet ancien étudiant en école de commerce devenu une immense vedette, Ivan Jablonka, professeur à l’université Paris-Nord, retrace « cinquante ans d’histoire culturelle française », de Mai 68 à la fin des idéologies, du triomphe de la gauche en 1981 à ses désillusions en 2002 ; interroge l’engagement des artistes, l’évolution des modèles d’intégration. Autant de thèmes qui croisent nos débats d’aujourd’hui. Son intérêt professionnel pour le chanteur remonte à cinq ans. Un chapitre d’Un garçon comme vous et moi, dans lequel il pointait sa masculinité « dissidente » : « Juif, intello, banlieusard, fragile, à rebours d’une scène rock hexagonale plutôt misogyne alors. » Le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme lui commande un cycle de conférences. Jablonka plonge pour ne plus remonter, car Goldman et lui partagent « une proximité biographique, sociologique, historique étonnante ». Tous deux sont des fils de famille immigrée juive, grandis dans un pavillon de Montrouge pour Goldman, le quartier d’Alésia, dans le sud de Paris, pour Jablonka. « Son père est même né près de Lublin, en Pologne, en 1909, exactement comme mon grand-père. » Autre point commun : les engagements de gauche et « la manière dont ils se diffractent dans une même famille : le père communiste, le demi-frère, Pierre, gauchiste de choc, et Jean-Jacques, social-démocrate bon teint. Ça ne pouvait que me toucher. » Musicalement, l’attachement remonte à ses 25 ans. Plus jeune, Jablonka lui préférait Renaud ou Gainsbourg. « À l’adolescence, on veut des choses qui ne nous ressemblent pas tant que ça. Or Goldman était non seulement un miroir individuel, mais un miroir collectif. » Banal, dramatiquement banal dans ces années 1980 naissantes où le punk meurt d’overdose, la new wave se suicide et la pop renaît en fluo. En jean et chemisette repassée, Goldman déboule et assume son extrême centre (« Je suis pas des plus malins ni un super ambitieux », Sans un mot, sur son premier album, À l’envers). On a vu plus exaltant. Jablonka passe son chemin. Pas la critique musicale, qui l’étrille immédiatement. Et l’étrillera avec une constance remarquable à mesure que le succès de Goldman s’amplifiera. C’est l’un des fils rouges de l’ouvrage, ce mépris dont Goldman et, par extension, ses auditeurs auraient fait les frais de la part de « la presse intellectuelle ». Un « anti-goldmanisme » surtout de gauche, mais aussi de droite, qui aurait occulté sa dimension profondément politique. Il suffit de lire les tableaux réalisés par Ivan Jablonka pour constater la dureté des termes employés : « Une sorte d’anti-vedette sans génie ni folie » (Le Figaro), « Look : nul ; message : zéro (Le Nouvel Observateur). Télérama n’est pas plus aimable : « Je n’aime pas […] toutes les façons de chanter de Goldman » (1982). Le chanteur vient pourtant des mêmes rangs intellectuels, défend les mêmes causes : la richesse des différences et l’universalisme, le refus des privilèges, l’envie de changer le monde. « Toutes ses chansons peuvent être comprises comme des réflexions sur la judaïté en diaspora, l’exil, le déracinement, même s’il n’emploie jamais ces mots. Surtout, Goldman s’adressait à tous, jusqu’aux gamines de la France péri-urbaine. » Le livre rappelle les témoignages d’Omar Sy ou de Najat Vallaud-Belkacem, qui ont souvent évoqué l’importance de ses chansons. « Dans l’histoire de l’immigration, le modèle Goldman est incontournable. » Peine perdue, la presse lui préfère Souchon, plus caustique. À la rigueur Balavoine, plus fougueux, et mort en héros humanitaire. Si elle constate le phénomène, c’est pour mieux déplorer son inconsistance : « La preuve du pire, c’est parfois la foule », écrit L’Événement du jeudi, le journal de Jean-François Kahn. Même ses fans font profil bas, rappelle le livre : « En prépa littéraire, je n’en parlais pas », écouter Goldman, c’était « gnangnan ». Le 20 décembre 1985, le chanteur s’offre une page de publicité dans Libération. Il y compile les phrases assassines à son égard et conclut : « Merci d’avoir jugé par vous-même. » Retour à l’envoyeur ou démagogie, le débat fait encore rage aujourd’hui. Plus tard, il fustigera le « téléramisme » des journalistes, attaquera en justice 1. « Je n’imaginais pas la violence symbolique qui s’est déchaînée autour de Jean-Jacques Goldman. Une véritable guerre culturelle à la française. » Jablonka y voit deux explications. La première : le snobisme qui a longtemps sévi chez les intellectuels. « Un regard condescendant sur les goûts populaires, aujourd’hui remplacé par son contraire, l’omnivorisme, un néo-élistisme qui consiste à tout embrasser, dire qu’on peut aimer Godard et Plus belle la vie. » La seconde : un goût pour la radicalité dont manquait cruellement Goldman. « Pendant très longtemps, il y a eu une tradition marxiste et néo-marxiste dans la vie intellectuelle française. Quelqu’un qui s’éloigne des idéologies, n’appelle pas à la révolution ni à la révolte, contrairement à un Renaud, par exemple, ne pouvait pas vraiment faire plaisir. » Et ce d’autant plus qu’un autre Goldman, plus radical, avait existé. Pierre, le demi-frère, militant d’extrême gauche devenu bandit. Condamné, puis acquitté d’un double meurtre crapuleux, finalement assassiné en 1979. Une personnalité brillante, torturée, inquiétante qui fascine, elle. Hasard de la rentrée culturelle, un film de Cédric Kahn sort à son sujet en novembre, comme si leurs deux destins étaient liés à jamais. « L’affaire Goldman est paroxystique de la crise que traverse la gauche après 68. Jean-Jacques rendra -visite à son frère en prison, mais au fond, un journal comme Libération ne lui a jamais pardonné de ne pas être Pierre. » Jean-Jacques, en effet, ne rêve ni ne « promet le grand soir, mais juste à manger et à boire » dans sa chanson pour Les Restos du cœur. La révolution a cédé à la charité, disent ses détracteurs, au pragmatisme, répond Goldman. Le début de l’apolitisme chez les artistes ? « Oui et non, car ce qu’il dit me paraît extrêmement proche de la deuxième gauche, de Rocard à Jospin : l’idée que l’État ne peut pas tout, qu’il faut se prendre en main, sans oublier d’être solidaire. Ce n’est pas un hasard s’il triomphe dans les années 1980 e 1990 et décide de mettre fin à sa carrière peu après la défaite de Jospin en 2002 face à Le Pen. » D’une certaine façon, le « goldmanisme » disparaît avec la social-démocratie. Dépassé, rangé dans l’infamante catégorie « boomer », antichambre de « réac » : « Goldman était un homme blanc, bourgeois, qui pouvait parler d’une femme immigrée dans C’est ta chance. Aujourd’hui, on estime que seuls les Juifs peuvent écrire sur la Shoah, les homos sur les homos ; une régression proche de la dystopie à mes yeux. Évidemment, je plaide pour ma paroisse puisque j’ai consacré plusieurs livres à la masculinité, aux droits des femmes et au féminisme. Mais précisément, cela m’a été reproché. Alors parfois j’ai envie de dire : « Reviens, Goldman », et pas seulement pour des raisons musicales ! ». TÉLÉRAMA • Par Odile de Plas • Publié le 18 août 2023.
Le livre intelligent d'un fan : décryptage d'un homme, d'un phénomène social, d'une époque. Très intéressant.