
2025
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Lauren Bastide
Summary
Il est temps de transformer notre regard sur la solitude des femmes. Les femmes ont mis des siècles à conquérir le droit d'être seules, à s'affranchir de la surveillance du père, du mari, de la société. Aujourd'hui, enfin, elles le peuvent. Mais leur solitude reste mal vue. Y compris par elles-mêmes, nombreuses à la vivre comme une souffrance ou un échec. En mêlant analyse historique et récit personnel, Lauren Bastide invite à changer de regard sur les femmes seules : celles qui ne sont pas en couple, celles sans enfants ou dont les enfants ont " quitté le nid ", celles qui voyagent en solitaire, celles qui n'ont besoin de personne – ou essaient, en tout cas. Il existe dans la solitude la promesse d'une émancipation, d'une estime de soi renouvelée et de la possibilité d'habiter le monde, enfin, à son rythme. La solitude peut être une chance pour toutes les femmes, quels que soient leur âge et leur situation : cet essai donne des clés pour s'en saisir.
Chiffres - 11M de personnes seules, 6M de femmes - 5M de femmes sous le seuil de pauvreté - Le taux d’infécondité des femmes entre 30 et 34 ans est de 13,6%, soit seulement 3 points de plus que les femmes de 20 ans. Pourtant le mal est fait dans les consciences occidentales : passé 31 ans, c’est l’horloge biologique qui tourne ! Monique Wittig : « les femmes seules ne sont pas des femmes » - La modernité a engendré la disparition de l’échelon intermédiaire : l’échange informel avec le voisin, le commerçant, la dame du bus (notamment aux USA avec les déplacements en voiture). Or le village est ce qui apprend la tolérance, le désaccord productif et le compromis. Pas étonnant que cela coïncide avec l’émergence d’un style de politique grotesque où chaque élection devient une quête visant à éradiquer un ennemi ! - Les hommes ont droit à la solitude sereine, celle des penseurs, artistes, philosophes. Au contraire, en raison des injonctions à la maternité et l’hétérosexualité s’est construite l’idée, à partir du XIXe siècle, que la femme seule est une femme en échec, défaillante = solitude par le prise du genre. « La solitude, c’est ce sans quoi on ne fait rien » - Au Moyen-Age, les femmes pouvaient encore hériter et gérer des biens. La Renaissance vient verrouiller avec l’Eglise les espaces occupés par les femmes jusque là, qui glissent hors de la sphère intellectuelle (chasse aux sorcières, pièces misogynes de Molière comme Les Femmes savantes, emport du masculin sur le féminin sacralisé par l’Académie Française à la fin du XVIIIe siècle). Seule la figure de la veuve parvient à échapper à la surveillance. Les femmes sont aussi dépossédées de leur capacité à fabriquer, réparer, transformer. - 1405 : Christine de Pizan, la plus ancienne féministe. 1700 : Gabrielle Suchon publie Du célibat volontaire, ou la vie sans engagement. - 1789 : les révolutionnaires interdisent le vote des femmes et leur participation aux débats de l’Assemblée, les renvoyant vers la sphère privée et s’accaparant la chose publique, la fameuse République ! - 2ème moitié XIXe siècle : invention de la femme au foyer. Les femmes prolétaires travaillent, s’encanaillent et se désintéressent de la maternité, même si elles sont moins bien payées et ne peuvent jouir de leur salaire. Les usines et institutions politiques augmentent alors le salaire des hommes travailleurs, pour leur permettre d’entretenir une ménagère « inactive », rompue au travail domestique. L’usine est un mode de production qui donne lieu à l’exploitation capitaliste ; la maison à l’exploitation familiale, patriarcale. Apprendre à se défendre - Sur les 10 dernières années avant le meurtre d’Alexia Daval, 10 joggeuses assassinées, contre 1220 femmes assassinées par leur conjoint. Le véritable danger est le conjoint, contrairement à ce que disent les médias ! - Les performances sportives des femmes font moins rêver que celles des hommes. On fabrique l’infériorité sportive des femmes. La voyageuse solitaire - Dans la littérature classique comme dans l’imaginaire collectif, la femme non blanche, fantasmatique, est systématiquement perçue comme sexuellement disponible. La bohémienne, la gitane, la chanteuse de rue, la danseuse orientale : on désire ces femmes, on les viole, on les tue. - Dans ce continuum, les femmes racisées, migrantes, colonisées, pauvres, occupent une place vulnérable. - Contre-cartographie (Nancy Peluso) : là où les cartes patriarcales tracent et délimitent, la cartographie féministe ne cherche pas à dominer l’espace, elles multiplie les lignes de fuite. Refaire sa vie sans chercher sa moitié - L’enjeu des individus est la capacité à être seuls. Cela vient du moment du développement du bébé à sortir du besoin fusionnel d’attention de la part de la mère, tout en étant en sa présence : il peut jouer à côté de sa mère, sans que sa présence ne soit un obstacle, et sans que cela soit source d’angoisse pour la mère (la mère « suffisamment bonne » de Winnicott). La capacité d’être seul, c’est la certitude acquise que même si l’on plonge dans son univers intérieur, l’objet aimé aura une permanence. J’ai le droit d’embarquer dans mon monde intérieur et d’oublier un instant que ma mère existe, car quand j’aurai fini, elle sera toujours là. - L’attachement se construit progressivement dans les 12 premiers mois, grâce à la stabilité, la fréquence et la qualité des interactions nouées. - (Carol Gilligan) À l’adolescence, les femmes doivent faire taire leur voix authentique pour embrasser une voix sociale, acceptable, adaptée. Elles apprennent que leur valeur réside dans leur capacité à plaire, séduire, répondre aux attentes des autres, plutôt qu’à leurs propres besoins. ==> Par définition, aucun enfant ne trouvera jamais un attachement pleinement incarné auprès de sa mère… Car chaque femme est amenée à répondre à des attentes extérieurs en se vidant d’elle-même, en se coupant de ses propres besoins. - Processus de « désaimer » (Fabienne Brugère) = libération des attentes, illusions, dépendances affectives, revenir à la vie ! - Lien entre solitude et addiction : la bonne solitude n’est possible que lorsqu’on a intériorisé la permanence des autres. Il faut savoir quelqu’un est là pour s’absenter (Catherine Audibert). - Il faut apprendre à être solide dans nos solitudes ! Embrasser l’angoisse existentielle de la solitude en tant que femme/humain. La laisser vivre, nous traverser, s’installer en nous sans la traquer. Une fois cette peur de ne jamais être suffisamment bien aimée est là, nommée, désigner, et donc moins menaçante, il se produit un basculement. - Cesser de craindre sa solitude intérieure est un exercice permanent. Ne pas chercher dans le lien amoureux à bâtir ou construire, mais plutôt à tisser ou cultiver. Le présent compte plus que le futur !!! Les émotions sont dites, les besoins affirmés, les limites posées. À partir de ce socle, on peut fusionner ! - À chaque fois, sortir le nez d’une relation dans laquelle je cherche à tort mon identité et se rencontrer. Se serrer dans ses propres bras ! La vague d’anxiété passe, le besoin profond de réassurance s’estompe. La folie - Les femmes considérées comme folles sont souvent celles qui rejettent les rôles de genre imposés. - Freud a ignoré que la plupart de ses patientes qui lui ont servi pour sa théorie psychanalytique ont été victimes de viols (a traité ceci comme des fantasmes ou souvenirs inventés)… - +62% de prescriptions chez les enfants entre 2014 et 2021 ==> Imposer sa non-conformité au monde, en faire un lieu de résistance politique et de réparation psychique !