Résumé
Vol. 1: Cette Traversée des temps affronte un prodigieux défi : raconter l'histoire de l'humanité sous la forme d'un roman. Faire défiler les siècles, en embrasser les âges, en sentir les bouleversements, comme si Yuval Noah Harari avait croisé Alexandre Dumas. Depuis plus de trente ans, ce projet titanesque occupe Eric-Emmanuel Schmitt. Accumulant connaissances scientifiques, médicales, religieuses, philosophiques, créant des personnages forts, touchants, vivants, il lui donne aujourd'hui naissance et nous propulse d'un monde à l'autre, de la préhistoire à nos jours, d'évolutions en révolutions, tandis que le passé éclaire le présent. [4e de couv.]
602 pages Livre de poche : 37685. un verre de whisky : l’alcool, franchit ses, lèvres. il retient le liquide onctueux au creux de sa langue, en couvre longuement son Palais, savoure jusqu’à la brûlure son goût épicé et tourbeux. sous l’effet de cette exquise morsure… - p 19. comme il devient aisé de se taire, lorsque l’on détient la certitude qu’on ne sera pas compris ! - p 34. 1. Je ne connais pas de peuple dont l'identité soit à ce point fondée sur le malheur que le peuple hébreu. Son histoire se résume à une succession de projets d'élimination à son encontre ayant échoué in extremis. Dieu le premier s'en prend à cette communauté, qu'il a pourtant élue, et multiplie les massacres: le Déluge provoque une véritable hécatombe, à laquelle ne survit que la famille de Noé; plus tard, Dieu s'acharne sur ceux qui se plaignent de la famine en leur lançant des serpents, et il écrase ceux qui le critiquent. En 597 av. J.-C., voilà que le roi Nabuchodonosor II s'en mêle et déporte à Babylone l'élite juive de Jérusalem, Sédécias rase ensuite la ville, puis un nouvel exil se produit au bout de cinq ans. Enfin, les Romains conquièrent Jérusalem et envoient de nombreux prisonniers à Rome: ainsi se crée en Occident la première diaspora. Une révolte de Juifs de 66 à 70 se solde par un désastre, la démolition complète du Temple, à l'origine d'une deuxième diaspora. La suite présente un cortège de persécutions, d'expulsions, jusqu'au xx° siècle où Hitler entreprend carrément l'éradication totale et définitive de ce peuple. Après l'inqualifiable Shoah, en 1948, il retrouve a terre originelle, mais cette fois il lui incombe de partager le territoire recouvré avec d'autres occupants légitimes. Oui aurait résisté à toutes ces attaques, ces déportations, ces eterminations ? La résilience définit l'âme juive, cette force inté rieure qui lui permet de se reconstruire après avoir été détruite. Si les juifs décomptaient les défaites et les victoires qui jalonnent leur histoire, la balance pencherait lourdement du côté des défaites. Si bien que leur plus grande victoire est leur capacité à renaître après l'échec - p 34. L'arbre chaste est maintenant appele le « gattler». En tant que guérisseur, contre la stérilité je prescrivais autrefois les médi ciments traditionnels, feuilles de framboisier en tisane, trèfle rouge en décoction - selon le postulat que ce qui a la couleur du sang fouette le sang. En découvrant le gattilier, mon maître Tibor avait établi que ses fleurs violacées modéraient les ardeurs masculines, de sorte qu'il les proposait dès que des parents souhaitaient contenir un adolescent fougueux ou qu'une épouse voulait assagir un mari volage. Avant que nous nous séparions, Tibor avait émis une hypothèse: « Cette plante fabrique du féminin chez le mâle. Pourquoi n'en fabriquerait-elle pas aussi chez la femelle, en la rendant plus femelle encore? Nous devrions essayer sur des cas de stérilité. » Orienté par son intuition, je me livrai à cette expérimentation et constatai son efficacité. Par la suite, on utilisa beaucoup le gattilier pour calmer la libido des guerriers chez les Grecs anciens, puis celle des religieux durant l'ère chrétienne - au point qu'on désignait ses baies rondes sous les termes de «poivre des moines». Au Moyen Âge, on en fourrait les matelas pour rendre les mauvais sujets moins paillards. La science d'aujourd'hui reconnaît le gattilier comme un régulateur hormonal qui équilibre la production d'œstrogènes et bloque l'action de la testostérone. On le conseille aux femmes qui échouent à produire des ovules - p 42. La destination gâche le voyage. Plutôt que d’aller ici ou là, on devrait juste aller - p 72. une fois un mensonge prononcé, on gagne plus à le prolonger, qu’à le corriger - p 84. on prête toujours plus au connu qu’à l’inconnu - p 89. cette mélodie sur trois notes… Libérait leur pure joie d’exister (en parlant des oiseaux) - p 90. Le chat est sorti de la nature pour entrer dans l'histoire au moment où l'homme a accompli le même pas, lors de la sédentarisation. Dès que nos ancêtres chasseurs-cueilleurs construisirent des villages et commencèrent à stocker des aliments, ils acquirent de nouveaux ennemis, de nouveaux alliés. Ennemis? Les animaux qui dévoraient le festin entreposé dans les silos - souris, rats, mulots, oiseaux, serpents. Alliés? Des petits carnivores sauvages, les chats, qui croquaient ces rongeurs. La relation entre hommes et chats débuta donc en bonne intelligence, établie sur des intérêts communs. Ces bêtes participèrent efficacement au développement de l'humanité et contribuèrent à la civilisation en sauvegardant ses biens essentiels - p 118. Au Moyen Âge, le catholicisme compliqua l'existence des chats. Par des massacres systématiques, des dévots cherchèrent a les supprimer radicalement. Alors que chez les paysans et dans les monastères les chats jouaient leur rôle contre les rongeurs, la foudre les frappa depuis Rome. En 1233, le pape Grégoire I déclara la guerre au chat: sa pupille verticale, semblable à celle de la vipère, témoignait de son origine satanique, ainsi que sa paresse, sa luxure, sa manie de se lécher longuement les pattes intimes. Cette bulle papale engendra des chasses, des exécutions de l'animal et de son propriétaire, taxés de sorcellerie. Sans doute la conséquence directe de ce décret fut-elle la propagation de la peste noire au xiv° siècle, laquelle, transportée par les rats, ne fut en rien freinée. Pourtant, après cette épidémie meurtrière, Innocent VII et Innocent VIII - les mal nommés - intensifièrent la persécution. Face à un renouveau des cultes païens, ils avaient trouvé le serviteur du diable, un bouc émissaire associe au démon - p 120. parfum dérivé du latin per fumum : à travers la fumée - p 164. il y a de la femme en toute femme - p 167. je redoutais 15 jours ce magnifique jeune homme Virât pansu; en lui, un gros attendait son heure - p 199. nul d’entre vous ne s’approchera de quelqu’un de sa parenté pour découvrir sa nudité. Lévitique 18,6. - p 202. bien heureuse, nature humaine : l’ivresse égotiste estompe la réalité - p 210. Ecoute-moi, Noam: l'âme existe! Lors du souffle suprême, le ba quitte la poitrine, stationne un moment en l'air. Il subsiste, il vogue, et il S'en va. Je l'ai aperçu nettement. Une lueur, bleutée parfois, transparente le plus souvent, une sorte de bulle translucide, s'élève au-dessus du cadavre puis cherde son chemin. Je n'ai jamais réussi à capturer le ba, avec mes mains ni avec un drap, mais je l'ai pesé - p 246. Entraînés dans les rouages de ce cercle, nous avions tous la possibilité, depuis notre présent, de saisir le passé et le futur, mais les augures bénéficiaient d'une meilleure vision que le commun des mortels. Surtout, nous attribuions une qualité fondamentale aux mots: le pouvoir créateur. Ils énonçaient ce qui était et faisaient être ce qui n'était pas encore. Soit ils représentaient la réalité, soit ils la généraient - p 270. nostalgie : la maladie du retour - p 282. L’humiliation constitue la perte de l’idée que l’on se fait de soi - p 290. Plus souvent qu’on ne voit, on croit voir. Même les paupières ouvertes, on garde l’esprit fermé. Les œillères des projections, des opinions, de l’impatience, bornent le champ de la perception - p 298. ce qui nous échappe provoque une fascination plus durable que ce qui se donne. On prête interminablement un être sans prise, on lui attribue des richesses fictives sans démenti. L’ignorance devient alors l’asile de l’amour - p 312. je devais renoncer à quelque chose qui n’avait jamais eu lieu… généralement, on n’en finit avec le passé, moi je rompais avec l’avenir - p 316. Un écart ténu, quoique fatal, existe entre différer pour laisser croître le désir et s’habituer à ce que le désir n’aboutisse pas - p 324. « Moise» est un nom d'origine égyptienne, pas hébraïque, contrairement à ce qu'affirma plus tard la tradition biblique. Il correspond a l'affixe mès signifiant « enfanter», que l’on retrouve dans de nombreux noms égyptiens composés: ainsi Ptahmosis (engendré par Ptah), Thoutmosis (engendré par That Cependant Néférou n'a pas précisé quel dieu avait engendré son prétendu fils et le nom cesse d'être théophore. Pourquoi Néférou, plutôt pieuse, craignait-elle davantage de mentir aux dieux qu'aux hommes? Était-ce un trait d'humour lorsquelle glissa: « Voici un fils mais je ne vous dirai pas de qui il est issu. Cette provocation ressemblait assez à l'audace et à l'irréflexion de Néférou. Cela dit, elle ne prenait pas vraiment de risque, car je connus d'autres Moise en Égypte, un officier et un contremaître. En tout cas, les commentateurs de la Bible cédèrent à une véritable fantaisie interprétative en voyant de l'hébreu dans ce nom. Profitant d'une similitude accidentelle avec un de leurs verbes très rare, «tirer», au prix de quelques distorsions grammaticales à partir de cette racine, ils assurèrent que Moise signifiait « tiré des eaux». Je compris que, plusieurs siècles plus tard,il leur fallait absolument «déségyptianiser» Moïse - p 334. le costume sacré de la nudité - p 341. Entre les bras de Méret, je comprenais que le plaisir ne suffit pas; l'amour seul pacifie. La volupté, selon qu'elle constitue une fin en soi ou qu'elle accompagne quelque chose de plus grand qu'elle, se réduit dans le premier cas à une jouissance provisoire, dans le second S'épanouit en jouissance infinie. Là un assouvissement, ici un accomplissement - p 343. Qu’est-ce que le bonheur ? L’absence de questions - p 344. Une rupture avec l'ordre naturel s'était produite. Chez les lions, les singes, les loups, le dominant acquiert sa place grâce à sa musculature, à sa bravoure, à son opiniâtreté; au temps de mon enfance, le chef d'une tribu nomade ou sédentaire légitimait sa prééminence par ses qualités physiques, morales, position ardue que les circonstances remettaient constamment en question, jusqu'à ce qu'un plus vigoureux l'évinçât; bref, l'autorité, nécessaire ciment du groupe, se fondait sur des vertus, alors qu'à présent elle provenait du système, non de la valeur d'un individu - p 372. la réalité ? Une fiction parmi d’autres - p 397. escogriffe drogue nootropique centenier Chacun de nous porte plusieurs êtres en lui. Le fait que nous n'offrions qu'un seul visage, un seul corps, un seul nom donne lieu à un malentendu: à l'intérieur de cette unique enveloppe doit résider une seule personne. Erreur! Trop de tensions contradictoires nous constituent, trop d'événements divergents nous façonnent, trop de valeurs opposées et de désirs discordants nous habitent pour que nous nous réduisions au monolithique un - p 420. La présence tient à la plénitude. L'être doté de présence apparaît plein, rempli au point que cela déborde. L'être sans présence s'avance vide, creux à l'intérieur, chargé de rien. Pour le premier, l'esprit pousse le corps en avant; pour le second, le corps précède mécaniquement l'esprit. L'un brûle, l'autre est éteint. On le remarque bien au théâtre: les grands comédiens, lorsqu'ils entrent en scene, parlent avant d'ouvrir la bouche tant ils sont déjà habités par les divers sentiments de leur personnage; c'est ce lot d'espoirs, d'appétits, de résolutions, de déceptions qui les a engagés à franchir le seuil; Certains considèrent la présence comme un miracle, d'autres comme une grâce. J'y vois plutôt un phénomène spirituel. Et je crois qu'une révolution spirituelle ou un travail de cet ordre peuvent donner de la présence à qui n'en possède pas - p 422. la mort des désirs, qu’on appelle aujourd’hui, dépression - p 431. une force en moi est davantage instruite que ma conscience - p 439. N'est-ce pas le plus solide, cet amour qui se passe du sexe? Cet amour sans performance, sans gymnastique, sans acrobatie? Cet amour dont les exigences restent à notre portée? Cet amour qui atteint aisément la plénitude? Cet amour dépourvu de fatigue? Cet amour jamais déçu? - p 441. Ce matin-là, il rentra du sanctuaire dont les 1. Le gri-gri est le propre de l'humain. A-t-on jamais vu l'animal en porter? Quel singe arbore un talisman? Quel orang-outan une médaille miraculeuse? Quelle truie un diamant contre le mauvais sort? Quelle pie une relique? Quel chat un scapulaire ? Le gri-gri exprime ce qui caractérise le psychisme humain, son terrible tourment: la conscience de la mort - p 442. Si les animaux eprouvent de da crainte, ils échappent à l’angoisse. La crainte, c'est la peur de quelque chose; l'angoisse, c’est une peur sans objet défini. L'angoisse nous transit sitôt que nous songeons à la mort dont nous ignorons tout, à part qu'elle se produira. Pourvus de réflexes défensifs, animaux et humains se pensent donc vulnérables, mais leur perception du péril diffère: il y a des dangers qui appellent à la fuite ou au combat, il y a un danger qu’on ne peut ni fuir ni combattre. L'humain détient le triste privilege d'identifier cet ennemi-là, le trépas, celui contre lequel on n’arrivera à rien, celui qui, impitoyablement autant qu'inéluctdament, l’empotera. La défaite est d'emblée annoncée. En un mot tandis que les animaux ne se rendent pas compte qu'ils perdtont la partie, les humains, eux, en ont conscience. L'animal: la bête se croit victorieuse. L'homme: la bête qui se sait vaincue. Les gris gris viennent compenser cette lucidité. Ils prennent de multiples formes et ne se contentent pas d'être accrochés au cou, ils se métamorphosent en rites, en chants, en tabous, en dessins, en cérémonies, en fêtes, en histoires partagées. Les religions n’offrent-elles pas l'intériorisation, la spiritualisation du gri-gri? On fournit des gris-gris pour chaque âge, pour chaque rang, chaque civilisation, même pour les esprits forts qui prétendent s’en passer: ceux-là étudient la philosophie, les sciences, coincent leur oeil derrière la lentille d'un microscope ou d'un télescope, pratiques qui représentent de nouveaux gris-gris, car il s'agit tou-ours de se défendre du néant. Aujourd'hui, la conscience de la mort n'a ni disparu ni changé, ce sont les gris-gris qui ont acquis l'invisibilité. Si je ne les remarque plus sur la poitrine des contemporains, je les repère dans leur discours sitôt qu'ils ouvrent la bouche. Pas d'humain sans gri-gri - p 443. le bonheur dépend moins des faits que de leur perception - p 456. Moïse est décrit dans la Bible, comme « pesant de bouche et pesant de langue » (Exode 4,10) - p 463. somatiser la peur, c’est désencombrer son esprit - p 466. je supporte mal les sentiments négatifs. Cela me rend prisonnier. Quand on haït quelqu’un on lui appartient - p 468. Élever un être revient à obtenir qu’il nous quitte. Cette victoire là ne dispense pas que de la joie, elle prodigue tristesse et regrets; il faut des années pour que cette mélancolie se dore de douceur - p. 481. Certains prétendent que c'est l'énoncé même de la pro-Atie qui change la réalité. Rien ne se produirait, disent-ils, lune personne non concernée par la prophétie l'enregistrait ela gardait secrète. En revanche, quiconque entend une pro-paie le touchant modifie sa perception du monde et altère no comportement: il interprète ce qui lui arrive, sélectionne b événements, choisit telle action, repousse telle autre, et Inalement accomplit la prédiction initiale. Aucune prophétie ndrient d'elle-même, c'est celui à qui elle s'adresse qui la fait trenir. La légende d'Œdipe illustre parfaitement cette idée. Ses parents se séparent de lui à la naissance car, leur déclare un devin, «il tuera son père et épousera sa mère». Un berger sauve le nourrisson et le confie à un autre couple, stérile celui-là, qui va elever cet enfant comme le sien. Du coup, lorsque Oedipe, devenu adulte, apprend par hasard le présage annonçant ses crimes à venir, il s'enfuit pour épargner celui qu'il imagine être son père, celle qu'il pense être sa mère. Ce faisant, il croise son véritable père sur un chemin et, à l'issue d'une rixe, le tue, puis épouse la reine de Thèbes, sa propre mère. Sans ce fichu oracle, ni voyage, ni meurtre, ni inceste. La prédiction se révéla autoréalisatrice. La croyance en la prophétie conduisait à sa concrétisation. L'époque contemporaine y voit une preuve de sottise, alors que nous, hommes du passé, y décelions le pouvoir créateur de mots. Nous étions persuadés que nommer revenait à faire advenir. Or, comment ne pas admettre la puissance génératrice de mots ? L'histoire l'a démontrée constamment. Des créatures tissées de mots continuent à régenter les sociétés, issues des mythes des textes sacrés, de la littérature. Aujourd'hui, des médicaments placebos guérissent, des publicités créent des besoins, le marketing façonne les désirs, des rumeurs agitent les Bourses, des déclarations déclenchent des guerres. Dès que les hommes élaborent un discours pour déclarer des situations réelles, alors elle le deviennent - p 482. (comme les ministres): A l'instar de son père, il s'imaginait gouverner alors qu'il se bornait à régner. Les prêtres des divers temples assuraient la cohésion de la population tandis que son vizir, ses directeurs d'administration, en collaboration avec le clergé, s'occupaient de la gestion essentielle - collecte des impôts, sécurité, justice -, tout en lui accordant de temps en temps, ainsi qu'on lance un os à un chien, l'illusion de décider - p 482. Pendant ses années de retraite, la pensée de Moise avait pris de l'ampleur. Selon lui, l'homme n'était pas né pour s'incliner devant l'homme. La société égyptienne faisait fausse route. Son organisation pyramidale comportait des qualités, certes - elle assurait l'ordre, la paix, la cohésion, la subsistance -, cependant, avait-elle raison? Fallait-il que nous vivions comme cela, entassés, dépendants, commandés. hiérarchisés ? Qu'attendions-nous de la vie? L'autre vie! Nous passions notre première vie à espérer le seconde, cet au-delà que nous imaginions peu différent, quoique plus agréable. Quel leurre! Le clerge et les dirigeants, en attirant l'attention des hommes sur l'existence d'après le trépas l'avaient détournée du moment présent. Oh, la ruse fonctionnait : personne ne contestait l'ordre établi. L'organisation, de moyen, était devenu une fin - p 488. À des époques différentes, Barak au néolithique, Abraham en Mésopotamie, Moise en Égypte nous alarmaient identiquement: l'humanité suivait une mauvaise pente, elle tablait trop sur elle-même, ne se préoccupait que d'elle et instaurait un monde oublieux de la nature. Barak s'opposait aux sédentaires, Abraham à l'existence urbaine, Moise à une société qui constituait son propre but. Tous trois luttaient contre la modernité. Si Barak se présentait comme un homme du passé, se référant aux chasseurs-cueilleurs qui parcouraient la terre depuis des millénaires, Abraham et Moise n'adoptaient pas une attitude rétrograde; sincèrement ou habilement,Il soumettaient à l'entendement une nouvelle façon l'être contemporain, ou plutôt d'être éternel, car ils rouraient à Dieu. Quel dieu? Pour Abraham, c'était celui du vent, des déserts, le souffle: sans le prétendre unique - p 489. Le monothéisme fut très lent à se former. La Bible comme le péché de reconstruction en le donnant comme une évidence ancienne. Ses scribes du vI° siècle avant J.-C., évoquant des réalités survenues bien avant, cédèrent au plaisir de la réécriture a posteriori. Ils avaient besoin de doter Abraham puis Moise d'une foi semblable à la leur, ils l'affichaient pour se conforter et pour l'opposer à leurs ennemis. Mais je crois surtout qu'il tremblaient de peur: avouer les tâtonnements du monothéisme cela eut été l'affaiblir. Sitôt que l'on présente le monothéisme comme ayant une histoire ainsi que toute autre pensée, on en fait un pensée comme une autre, on la prive de son statut de vérité révélée. Histoire et révélation font rarement bon ménage chez les auteurs de livres sacrés. Les révélations s'inscrivent dans l'histoire sans avoir jamais d'histoire - p 490. p 493. L’esclavage : un statut qui résultait des guerres ou des enlèvements. La servitude : un État auquel la société égyptienne réduisait chacun . Si l’on pouvait se libérer de l’esclavage, en utilisant les moyens légaux, en payant son affranchissement, on ne se libérait jamais de la servitude - p 495. Seul Dieu nous rend libre. La foi récompense ses serviteurs, en les délivrant de leur maître - p 495. pustules, phlegmons, kystes, furoncles, abcès, scrofules - p 510. Il abomine les exégètes des siècles passés, le crédit absolu ou à l'inverse la critique forcenée: soit on la (la Bible) prenait pour un livre d'histoire, de géographie de physique et de sciences naturelles dont on ne remettait pas une ligne en question; soit on prenait la Bible pour une fiction dépourvue de fondement, pure propagande religieuse à la lecture inutile. Désormais, érudits et savants s'attachent à confirmer que la Bible relate à sa manière des événements réels. Et soudain, trois mille six cents ans plus tard, Noam comprend ce qui est arrivé au temps de Moise Dans une île de la Méditerranée située en face de l’Egypte, une éruption colossale se produisit vers 1600 avant J.C., entrainant un tsunami. Le volcan de Santorin projeta plusieurs tonnes de cendres et de gaz toxiques, que les vents poussèrent vers le delta du Nil. Cet écoulement causa des désastres en chaine. Tout d'abord, des algues proliférèrent dans le Nil encombré de déchets acides et ferreux et, sous l'effet de ces plantes, les eaux rougirent, comme cela survint aussi lors de jaillissements volcaniques en Amérique. Les poissons moururent, tandis que les grenouilles tentèrent de fuir la chaleur et la pollution en montant sur les berges, où elles crevèrent et pourrirent. Leurs cadavres par milliers permirent la multiplication de phlebotomes, que les Égyptiens confondirent avec des poux, puis des mouches charbonneuses, lesquelles transmirent des virus aux animaux, particulièrement la «langue bleue», cette peste des bovidés. Chaque maladie en amenant d'autres, surtout quand les insectes servent de véhicule, les hommes subirent à leur tour des infections de la peau, telle la morve, une maladie bactérienne qui provoque des lésions cutanées. La septième plaie - la grêle - ne dépendait pas des six précédentes, elle découla d'une nouvelle explosion volcanique - les éruptions se déroulent en plusieurs phases -, qui altéra le climat. Ensuite, la logique matérielle reprit son cours: après de fortes pluies, les sauterelles pullulèrent; l'obscurité s'imposa parce que les cendres stagnèrent en épaississant l’air -les célebres ténèbres « palpables » de la Bible. Quant la mystérieuse dixième catastrophe, la mort des enfants aînés, elle s'expliquait par les maladies qui circulèrent - la mycotoxine des céréales - et affectèrent prioritairement les êtres fragiles; des petits périrent, sauf les nourrissons qui consommaient le lait de leur mère, un lait filtré, exempt de contamination - d'où l'expression biblique selon laquelle le trépas touchait les « premiers-nés». Ainsi les légendaires «dix plaies d'Égypte», plutôt que de Dieu en colère, résultèrent-elles de l'éruption titanesque qui détruisit Santorin - p 531. Plus qu’à l’installation, il appelait à la conversion. Il (Moïse) désirait que chacun apprenne à descendre en lui-même pour communiquer avec Dieu vivant, celui qui inspire - p 544. L’individu consent à se corriger un peu, cependant il refuse l’idée de s’être totalement trompé - p 544. Moïse, proposait un voyage à l’intérieur de soi, non un voyage vers un territoire. Son but ? Devenir meilleur, plus juste et plus sagace, non pas emménager quelque part avec sa famille. La terre promise était un horizon - p 545. Et Moise nous détailla les commandements que son dieu lui avait soufflés: le premier nous enseigne que Dieu est unique et qu'il ne faut vénérer que lui; le deuxième ordonnait de n'utiliser aucune image d'animal pour l'adorer; le troisième de ne pas invoquer Dieu en vain; le quatrième de se reposer après six jours de travail; le cinquième d'honorer nos parents; le sixième de ne pas tuer; le septième de ne pas commettre l'adultère; le huitième de ne point voler; le neuvième de ne pas mentir ou produire de faux témoignages; le dixième, enfin, de ne pas convoiter le bien d'autrui - p 550. Après cette préparation, saint Pierre prit le pain, leva les yeux au ciel avec un religieux respect et seulement prononça les paroles de la consécration telles que Notre-Seigneur les avait dites. Aussitôt, le cénacle fut rempli d'une multitude innombrable d'anges et d’une éclatante splendeur - p 432…. qui aime tant quand on aime ? Un corps bien sûr, mais une âme, un caractère, un regard, un élan. - p 555. Quand je lis la Torah, soit les cinq premiers livres de la Bible que les chrétiens nomment Pentateuque, je décèle trois conceptions du judaisme et j'y retrouve les trois tendances que j'avais observées durant l'exode: un judaïsme spirituel, un judaisme conquérant, un judaïsme essentialiste. Le spirituel repré. sente la démarche mystique puis législative de Moïse; valable pour tout homme, n'opérant aucune discrimination, il possède un caractère universel. Le conquérant, incarné par le courageux Josué, vise à trouver pour sa communauté un territoire où S'installer. L'essentialiste tente de définir le Juif par une parenté biologique, l'appartenance héréditaire à une lignée, et il dresse les généalogies qui abondent dans la Bible. Ces trois judaïsmes cohabitent au long des pages alors qu'ils diffèrent. Même quand les rédacteurs hébreux les rassemblent, ils ne s'accordent pas, voire se contredisent. Entre la Terre promise symbolique de Moise et celle, concrète, de Josué, il y a l'écart entre le concept et le matériel - p 556. *Torie, Iui, Inspire le sionisme. Des siècles après que les Juils Lent chassés de Jérusalem et que commença la diaspora, ce sovement se constitua au XIX* siècle en réaction à l'antisémi ine européen afin de construire un État juif. Quoique Sion designat Jérusalem, le courant sioniste envisageait plusieurs pays pour que s'y établissent les Juifs: l'Ouganda (en fait l'actuel (Kenya), l'Argentine, Madagascar, la Nouvelle-Calédonie. Son fondateur, Theodor Herzl, privilégiait d'ailleurs l'occupation de l’Ouganda. Au lendemain de sa mort en 1904, ses successeurs jetèrent résolument leur dévolu sur la Palestine, ce qui aboutit à la création de l'État d'Israël en 1948. Quant à l'essentialisme, en plus d'empoisonner l'existence ceux et celles qui, par un mariage, souhaitent s'affranchir du groupe, il conduit au rétrécissement identitaire - p 557. La nostalgie se présente en remède alors qu’elle constitue une maladie. Retourner sur un lieu cher, ne restitue jamais le passé. Au contraire, cela le supprime une seconde fois - p 576. on pourrait supposer que le passé constitue un objet qu’on ne peut plus modifier, car achevé : en réalité, le passé s’éclaire à la lumière du présent. Il varie donc souvent - p 589. le monde ne se tient pas uniquement dans les choses, il se tient toutes autant dans l’esprit, et ce que l’on nomme la réalité se réduit aux déchets qui appartient à tous- p 591. il y a souvent plus de confort à ne pas comprendre, qu’à comprendre - p. 592.
Noté 9/10 par Chloé
3eme tome des aventures de Noam, Noura et Derek au pays des pharaons.
3eme volet - Égypte